Chronique hebdomadaire #4

Cette semaine, ma vie a connu un important tournant : fini l’année bohème où je jonglais avec mille et une petites missions en free-lance, j’ai signé mon premier CDD à temps plein. Évidemment, ce changement va profondément bouleverser mon rythme de vie. Jusqu’ici, le temps coulait librement entre loisirs et travail, la frontière était d’ailleurs très poreuse et je pouvais m’offrir une sortie culturelle en plein milieu de la semaine ou au contraire passer un dimanche entier à bûcher. Désormais, il va falloir que je structure plus solidement mon temps entre activité professionnelle et « le reste » à savoir, visite de musées, enseignement, amis, écriture, et évidemment blogging… Qu’on se rassure, hors de question que j’abandonne Orion en aéroplane, cet objet-là est devenu trop important dans ma vie. Néanmoins, le rythme sera peut-être différent, le ton aussi, mais ce tournant, cela fait déjà quelques temps que je l’ai entamé.

Lac de Créteil automne
Le lac de Créteil à l’automne

Le Roi est mort ! Le rythme des affiches du métro

Boulot oblige, j’ai renoué mes relations avec la RATP : après un an sans carte navigo, pendant lequel je traversais Paris à la seule force de mes mollets, je retrouve le métro, ses rythmes, ses coutumes, ses couleurs. J’ai près de deux heures de transports quotidiens, que je passe à lire (beaucoup), à réfléchir, à écrire (un peu) et (de temps en temps) à regarder par la fenêtre.

A travers les vitres du métro, mon paysage est ponctué de publicités : elles forment des cycles, assez faciles à relever, car les mêmes pubs s’affichent aux mêmes emplacements d’une station à l’autre. Ainsi, cette semaine, j’ai haï de me retrouver face aux paris sportifs (exploiter la misère…) ou à ce super-héros de supermarché qui me vantait le prix ou la qualité d’une bouffe industrielle peu attrayante. En revanche, une affiche  me séduisait à chaque ralentissement de la rame : « Le Roi est mort » en lettres d’or sur un fond blanc. Une affiche aussi atypique que réussie. D’habitude on choisit de grandes et synthétiques images, au sujet simple et immédiatement perceptible : il faut être frappant, efficace, limpide. Pour cette exposition au château de Versailles, les choix ont été à l’exact opposé : un extrait minuscule d’une estampe, agrandi démesurément, une image fourmillante de personnages et même de mots ! Un visuel qui tranche donc des lieux communs habituels de la publicité : audacieux et efficace. J’ai vu tant de gens, intrigués, s’arrêter. Détailler chaque figure en attendant le prochain métro. Des gens tournant le dos aux rails pour dévorer les détails de cette affiche qui ne leur est pas destinée, car normalement, on regarde plutôt les affiches du quai d’en face !

Le Roi est mort
A travers la vitre du métro : l’affiche pour l’exposition « Le Roi est Mort » au Château de Versailles

Camille Claudel, lecture et sensualité

Durant ces trajets de métro, j’ai beaucoup lu : mon Gallimard Découvertes sur Camille Claudel, un autre sur Palmyre, un livre sur la première guerre mondiale et un autre sur le design.

Sur la couverture du Gallimard Découvertes consacré à Camille Claudel, il y a une photographie d’un plâtre de l’artiste. Un visage délicat et blanc portant encore les traces de l’empiècement du moule, ce que l’on appelle dans le vocabulaire technique de la sculpture « les coutures ». Ces coutures – qui disparaissent dans l’oeuvre achevée – participent ici beaucoup de la force de l’image : cicatrices sur un visage, un écho aux troubles de l’artiste? Sur mon exemplaire de l’ouvrage, se superpose à cette photographie une dimension sensuelle. J’ai acheté mon livre d’occasion, et le film plastique qui renforce la couverture avait un défaut : en plusieurs endroits, il s’est arraché. Cela se perçoit à peine à l’oeil nu, mais lorsqu’on le tient pour le lire, les doigts sont au contact de cette irrégularité de surface. Durant toute ma lecture, j’ai effleuré ce relief, et je pense que cela a beaucoup compté dans toute mon expérience de lecture.

Camille Claudel, une couverture abimée
Camille Claudel, une couverture abimée

Lire la biographie de Camille Claudel, c’est lire une tragédie dont on connaît déjà la fin : un destin brisé, une femme torturée. A chaque page on se désole que ses proches n’aient pu freiner la déchéance inexorable de l’artiste, on s’attriste de toutes ces petites peines qui auraient pu lui être épargnées. Mais ce qui nous semble aujourd’hui insignifiant ne l’était pas en son temps. Comme les choses auraient été différentes si Camille Claudel n’était pas née femme…

La généalogie, une drogue dure ?  Plongée dans la vie d’un poilu

Pour ma culture professionnelle, je me suis décidée à m’essayer un peu à la généalogie. Travailler en archives départementales et ne pas avoir une connaissance approfondie des pratiques des généalogistes serait une aberration : ils constituent la majeure part du public ! J’ai donc choisi dans le centre de documentation professionnelle un ouvrage parmi les guides pour débuter en généalogie. Actualité oblige (centenaire de la Première Guerre Mondiale) et arbre généalogique déjà bien travaillé par mes parents, je me suis emparée d’un livre intitulé « Retrouver un soldat de 14-18 ». Il y a deux ans, la lecture d’un fragment de la correspondance de mon arrière-arrière-grand-père, mort en 1916 dans la bataille de la Somme m’avait bouleversée et j’avais envisagé l’idée d’en faire une édition numérique augmentée. C’était un moyen de mettre en pratique les enseignements que je recevais à l’École des Chartes en matière d’édition de sources (XML/TEI). Malheureusement, faute de temps, j’ai renoncé. C’est peut-être l’occasion de le reprendre ?

Correspondance de poilu
Fragment de la correspondance de mon arrière-arrière-grand-père, 1915-1916.

Ne disposant pas de son livret militaire, j’ai repris mes recherches à zéro : acte de naissance, acte de mariage, recensement militaire, tout était consultable en ligne sur le site des archives de la Vienne. Quant à sa fiche « mort pour la France », je la savais sur le site Mémoire des Hommes (le site internet des archives de la Défense). Cette fiche, c’est d’ailleurs un de mes premiers contacts avec les archives : j’étais en 4e, et nous étudiions en cours d’histoire la Première Guerre Mondiale. Notre professeur, que j’aimais beaucoup, -Madame François, si vous passez par là -, devait être sacrément en avance : plusieurs fois par mois, elle nous emmenait en salle informatique explorer des ressources internet. C’est ainsi que, pour la première fois, je me suis connectée à Europeana et à Mémoire des Hommes.

Rassembler tous ces documents m’a pris moins de trois quarts d’heure : on mesure ce que la numérisation apporte aux amateurs : plus besoin de se déplacer à l’autre bout de la France, tout est à portée de clic. Du coup, ça devient vite addictif.

En suivant les conseils de mon livre de généalogie, j’ai cherché des documents relatifs au régiment de mon aïeul (le 33e régiment d’artillerie de campagne), où il occupait une fonction de maître pointeur (pour un canon donc). Sur Gallica, j’ai trouvé l’historique de son régiment : après guerre, à des fins patriotique et de commémoration, chaque régiment à fait l’objet d’une publication, où l’on retrouve les faits saillants de « sa » campagne contre l’Allemagne : batailles marquantes, faits d’armes… et, souvent, une liste des décorés et des morts pour la France. Cette liste ne descend pas toujours jusqu’au simple soldat, mais dans le cas du 33e, mon ancêtre apparaît bien.

J’ai aussi consulté, toujours sur Mémoire des hommes, un document beaucoup plus complet : le JMO (Journal des marches et opérations) où sont normalement consignés, au jour le jour, tous les éléments relatifs au régiment. Une sorte de rapport officiel. Suivant le soin qu’apportaient les gradés à son renseignement, les JMO peuvent-être extrêmement détaillés et former une source précieuse pour s’approcher du quotidien d’un ancêtre poilu. Je ne me suis pas encore lancée dans sa lecture. En le croisant aux contenus des lettres que mon arrière-arrière-arrière grand père a écrites, je pourrais précisément reporter sur une carte son itinéraire pendant la guerre, retrouver des images des paysages dévastés qu’il a traversés…

Au hasard du net, une carte postale des ruines de Combles, dans la Somme. Mon ancêtre y est décédé le 4 octobre 1916
Au hasard du net, une carte postale des ruines de Combles, dans la Somme. Mon ancêtre y est décédé le 4 octobre 1916

Il y a là un beau travail de recontextualisation des archives familiales à mener : j’espère que j’aurai le temps nécessaire pour m’y lancer. Et pourquoi pas, ouvrir une nouvelle rubrique sur ce blog ? Ma découverte de la généalogie a enthousiasmé quelques-uns de mes followers sur twitter : cette passion est partagée !

Une silhouette que je connaissais déjà : François Bon en chair et en os

Mardi 21 octobre, j’ai vu François Bon. Le RER lui a été défavorable et il est arrivé très en retard. J’ai eu peur qu’il zappe notre rendez vous à l’Atlantique pour s’engouffrer directement dans son train. Je t’attendais, écrivant sur une petite table de bistrot, collée à la baie vitrée. Et puis, j’ai tourné la tête : sur le trottoir d’en face, dans la nuit qui tombait, une silhouette familière. J’étais presque surprise, comme si je le croisais par hasard alors que nous avions rendez-vous. C’était étrange, presque irréel, François Bon sur le trottoir d’en face : nous ne nous étions jamais rencontrés, et pourtant il m’était déjà familier. Comme quoi, YouTube est déjà une rencontre : nous n’avions qu’à reprendre la conversion là où nous l’avions laissée, c’est-à-dire sur Facebook.

La silhouette de François Bon en Balzac par Rodin (interprétation personnelle)
La silhouette de François Bon en Balzac par Rodin (interprétation personnelle)

Plus j’avance dans ma vie numérique, puis la frontière est poreuse… Évidemment, nous avons parlé d’écriture, de vidéo, de la passion qui dévore, qui déborde dans l’emploi du temps. Car à force de se suivre sur les réseaux, on se connaît, mais il y a des questions qui restent en suspens.

[Les blogs en miroir, je suis aussi dans le Vlog de François Bon]

FIAC en off, une touche d’art dans mon week-end

 Tout les ans, j’aime profiter de la FIAC du peuple, la FIAC off. L’entrée est gratuite, puisque la galerie est l’espace public : le jardin des Tuileries. Le week-end, les élèves de l’école du Louvre assurent (bénévolement) la médiation auprès du grand public, très nombreux à se presser autour d’eux. C’est souvent un moment d’échange convivial et intéressant, même si l’on plaint parfois ces étudiants transis de froid dans les allées du prestigieux jardin.

Les autres années, les jours précédent et suivant la FIAC, je faisais chaque matin un détour par le jardin des Tuileries, pour le plaisir d’être seule face aux oeuvres qui me charment le plus. Avec un peu de chance, je croisais des ouvriers en train d’installer ou de remballer une oeuvre monumentale. Mais cette année, je ne pourrais pas profiter des matins calmes d’automne aux Tuileries… A cette heure là, je suis dans le métro !

La Seine et le Louvre en automne
Les couleurs de l’automne sur la Seine

13 réflexions sur “ Chronique hebdomadaire #4 ”

  • 27 octobre 2015 à 8 h 03 min
    Permalink

    À nouveau des photos magnifiques, à la hauteur du texte ! On attend la publication de cette biographie de votre quadrisaïeul.

    Réponse
  • 27 octobre 2015 à 9 h 03 min
    Permalink

    La lecture est la généalogie ont en commun de vous absorber tant que l’on est hors du temps

    Réponse
    • 31 octobre 2015 à 12 h 01 min
      Permalink

      Tout à fait : mais c’est aussi pour ça que je me méfie : comment trouver l’équilibre entre ce qu’on vit / produit de soi et ce temps passé à savourer « hors du temps »

      Réponse
  • 27 octobre 2015 à 10 h 00 min
    Permalink

    Magnifique et de l’intérêt du Pass Navigo à 70 euros!

    Réponse
    • 31 octobre 2015 à 12 h 01 min
      Permalink

      A vrai dire, pour l’instant je ne savoure pas le dezonage : je ne fréquente QUE la ligne 8.

      Réponse
  • 27 octobre 2015 à 10 h 02 min
    Permalink

    Toujours néanmoins déterminée à aller voir Vigée-Le Brun?
    Y’a de la quantité, mais je crois que le moins bandant des portraits d’Ingres vaut toute l’expo d’Élisabeth Louise.

    Toutefois, quelques oeuvres, de ci, de là, ont retenu mon attention: amusant de constater que ce sont celles qui concernent des proches ou des intimes de l’artiste, où « l’ambition » n’est pas la même que pour les « grands » portraits de « nobles » qui demeurent sans envergure picturale, voire particulièrement vulgaires, finalement à l’image des portraiturés, qui auraient probablement préféré les « écrans » d’aujourd’hui.
    Au moins, la banalité crasse des époques traversées donne matière à réflexion.
    Pierre Klossowski insistait sur la nécessité pour l’artiste de nourrir un démon.

    14-18: avez-vous lu Voyage au bout de la nuit?
    C’est très bien adapté aux transports en commun!
    Attention cependant de ne pas se demander pourquoi nos aïeux sont morts, ni qui armait indifféremment les 2 « camps », ce serait politiquement très incorrect.
    La généalogie, ça va… ça ne porte pas à conséquence.
    Passe-temps autorisé, lol

    Réponse
    • 31 octobre 2015 à 12 h 03 min
      Permalink

      Elle est prévue pour dimanche soir.

      J’ai lu Voyage au bout de la nuit au lycée, mais je ne m’en souviens plus, c’est noyé dans les souvenirs scolaires.

      Réponse
    • 4 novembre 2015 à 9 h 43 min
      Permalink

      On est aujourd’hui ‘credi, alors si vous vous y êtes rendue, c’est pas peu dire que je me languis de votre billet à ce sujet!

      Je suis allé hier au Musée de la Vie Romantique: « Visages de l’effroi, violence et fantastique de David à Delacroix ».
      Un régal! Y’a un Prométhée d’époque (la peucou), du Mazeppa, du Marat dans sa baignoire, des assassinats pas tout à fait réalisés dans l’esprit Coubertin, à 4 ou 5 sur le pilou, des visions plus ou moins infernales, que du bonheur!
      Un étonnant « Young et sa fille », de Pierre-Auguste Vafflard, surgissant en haut de l’escalier…

      Et le plat de résistance -pour moi- les fragments anatomiques de Géricault!
      C’eût été chouette de les avoisiner à la « Nature morte à la tête de mouton » de Goya ♥ du Louvre ♥!
      Le catalogue d’expo offre un super prolongement, le format des repros est un peu limité, mais y’a le worldwide web pour les pêcher…

      Au plaisir de vous lire!
      Le temps du lycée révolu, rien ne vous empêche de relire le Voyage, avec vos yeux d’adultes.
      Mort à Crédit a provoqué chez moi un fou-rire: 1/4 d’heure de total abandon nerveux, le moment où ils s’exilent arnaquer à la cambrousse.

      Réponse
  • 27 octobre 2015 à 13 h 27 min
    Permalink

    Une chronique plus personnelle mais d’autant plus passionnante. Merci de nous faire partager tes coups de coeur et ton « quotidien » culturel. Ce ton plus intimiste, sans être voyeur, permet de rendre tes passions plus vivantes. A la semaine prochaine!

    Réponse
    • 31 octobre 2015 à 12 h 04 min
      Permalink

      Héhé, justement, chaque semaine, la frontière de l’intime me questionne : l’exercice est vraiment difficile, surtout quand je projette les gens que je connais en train de me lire !

      Réponse
  • 31 octobre 2015 à 9 h 29 min
    Permalink

    je voudrais partager la sculpture de Caille Claudel, cette oeuvre en plâtre a encore les coutures, merci d’avance, Monique Martens

    Réponse
    • 31 octobre 2015 à 12 h 06 min
      Permalink

      C’est la photo de la couverture d’un livre : vous n’avez pas à vous priver de la partager !!
      Camille Claudel est dans le domaine public par ailleurs, il faut en profiter (ça ne fait que deux ans !). Attention cependant méfiance, s’agissant d’oeuvres en trois dimensions, le photographe peut parfois revendiquer un droit, si il y a originalité dans le cadrage !

      Réponse

Laisser un commentaire