Depuis le 26 octobre, je n’ai pas publié ma chronique hebdomadaire. La chronique n°5 tentait, quelques semaines après les attentats, de tourner la page, de revenir à nos petites habitudes éditoriales. Malgré les mots qui soulagent, je n’ai pas eu beaucoup le coeur, en novembre et décembre, à sortir, à faire les musées. Si j’ai au final beaucoup écrit, mes textes n’ont pas passé les pages de mes carnets manuscrits pour se retrouver sur le blog. Pour 2016, ma bonne résolution étant de reprendre le rythme normal de ces chroniques, ce n°6 va tenter d’éponger le retard de la fin 2015. Voici donc un bilan de mes activités et de mes découvertes culturelles de ces deux derniers mois. Le panorama ne sera ni exhaustif ni chronologique, car faire défiler dans l’ordre le déroulé de ces dernières semaines est trop douloureux : on en revient toujours à l’avant et à l’après.

Plongée dans la généalogie
Après les attentats, j’ai décidé de me laisser le temps, de ne me forcer à rien. Pas envie de sortir pour ce vernissage que j’attendais pourtant avec impatience? Je suis restée chez moi. Pas envie d’écrire? Je n’ai pas écrit. J’ai ressenti un peu de culpabilité à cet immobilisme, mais je pense qu’il fallait que je prenne ce temps. Pendant un mois, j’ai un peu lu, dans le métro ou dans ma chambre et j’ai passé beaucoup de temps à surfer sur les sites d’archives pour remplir mon arbre généalogique. La généalogie, c’est une occupation exutoire par les temps qui courent : on s’enferme dans une bulle, celle du passé, on redonne vie à des oubliés, dans l’univers silencieux des vieux registres d’état-civil. C’est aussi un peu addictif : il faut parfois se faire violence pour éteindre l’ordinateur, laisser en plan la piste qui nous ferait remonter d’une génération encore. Rien que de l’écrire, je suis tentée de retourner sur le site des archives départementales de la Vendée !

Les points de départ de ma généalogie sont mes huit arrières grands parents. Cinq étaient encore vivants quand je suis née, mais je ne me souviens que de trois d’entre eux. J’ai commencé ma généalogie par une seule de ces huit branches, celles pour lesquelles j’ai reçu une mémoire orale précise et abondante, celle aussi qui a vécu dans un décor que je connais : j’ai joué et dormi dans une maison où, un siècle et demi auparavant, vivaient déjà ces journaliers, domestiques et cultivateurs qui sont mes ancêtres. C’est assez singulier de se dire que ce chemin, que l’on faisait enfant pour aller cueillir les mûres ou (tenter de) pêcher du poisson, nos ancêtres l’ont aussi emprunté pour les mêmes raisons ! Pour cette branche, je suis remontée jusqu’à la Révolution, et un peu de progrès en paléographie me permettra sans doute de remonter encore d’un siècle et demi. Il faut dire que j’ai de la chance : les Archives départementales de la Vienne ont numérisé beaucoup de documents et j’ai pu consulter toutes mes sources depuis ma petite chambre parisienne. Comme la pratique de la généalogie a changé en une décennie !

Ces vacances de Noël m’ont permis d’accéder à la boîte de généalogie constituée par ma maman : elle contient les mémoires de plusieurs aieux, les reproductions de plus de 400 photographies anciennes de membres de la famille… Mon arbre s’en est trouvé étoffé d’un coup et compte maintenant plus de 250 individus. Mais il faudra encore des mois pour affiner mes connaissances, vérifier chaque information et organiser tout ça.
J’ai beaucoup de choses à raconter sur la généalogie, aussi je pense consacrer un billet complet à ce sujet.
Livres lus : Première guerre mondiale et Web
En novembre et décembre, comme je suis peu sortie, j’ai eu beaucoup de temps pour lire. Depuis quelques mois, mes lectures s’organisent par cycle. Je me lance sur un sujet et je dévore une à dix références avec gloutonnerie. En septembre, j’ai lu de nombreux ouvrages autour de la prostitution au XIXe siècle, avant de me lancer dans une relecture exhaustive de mes Gallimard Découvertes, depuis abandonnée. Actuellement, je me consacre à des lectures sur la Première Guerre mondiale, en relation avec mon projet d’édition du corpus des lettres de mon arrière-arrière-grand-père poilu (on n’est jamais trop éloigné de la généalogie !).
J’ai d’abord lu le Gallimard Découvertes sur la Grande Guerre, vraiment bien fait et idéal pour remettre d’aplomb ses connaissances. J’ai ensuite parcouru le catalogue de l’exposition « Été 1914, les moissons interrompues » organisée il y a quelques mois par les Archives départementales du Gard. C’est vraiment un beau livre, qui alterne articles de fond sur les débuts de la guerre sur ce territoire et parcours individuels de poilus, parfaitement documentés. J’ai acquis l’indispensable Archives de la Grande Guerre, des sources pour l’histoire véritable bible pour celui qui veut étudier la Première Guerre mondiale. Édité par les Presses Universitaires de Rennes, cet ouvrage rassemble de nombreux essais d’historiens, qui éclairent l’état de la recherche et le panorama des sources pour tout un tas d’aspects de la guerre. Ainsi, quand on veut faire l’histoire d’un poilu, d’un régiment ou d’une question, on peut y trouver les bonnes pistes pour démarrer. Et puis, j’ai commencé les lectures, passant chaque semaine chez Gibert Joseph pour dénicher les occasions. Le Père Noël a achevé de constituer ma bibliothèque en ouvrages soigneusement sélectionnés. Ils m’aideront à comprendre l’histoire personnelle de mon aïeul au regard de la connaissance historique.

Parallèlement, en relation avec mes activités professionnelles, je lis beaucoup autour du web : je me suis prise de passion pour la collection Book Apart éditée par Eyrolles, dont j’envisage une lecture exhaustive : Design émotionnel, Stratégie de contenu, UX Design sont les trois premiers titres que j’ai dévorés. J’ai rarement lu des livres aussi enthousiasmants dans ce domaine : je suis globalement fâchée avec les ouvrages application d’informatique, absolument impossibles à manier et atroces à lire. Les auteurs sont probablement payés à la page et pondent des milliers de lignes de texte indigestes. Le niveau d’information dépasse rarement la description des fonctionnalités : difficile dès lors de prendre de la hauteur sur les pratiques, de se montrer critique ou d’anticiper les évolutions d’un logiciel. Livres de recettes à suivre au pied de la lettre, ils sont ennuyeux à mourir et se périment vite. Eh bien, la collection Apart, c’est tout le contraire : un point de vue éclairé et construit sur une question précise. Ces ouvrages vieillissent d’autant mieux qu’ils invitent à la réflexion plutôt que de fournir des recettes toutes faites ; on y gagne en esprit critique et en expertise. Ils sont très agréables à lire parce que les auteurs les ont construits comme des conférences passionnantes : ils sont experts des exemples frappants et savent les puiser dans des domaines très divers ; ils manient à la perfection l’art de la narration.
À chaque fois que je termine un livre de cette série, j’ai envie de le recommander à la terre entière et je pourrais tant ils sont accessibles. Accessibles et inspirants, même quand on ne fait pas de web soi-même !
Je vais poursuivre par des lectures sur la gestion de projet web, sur la typographie et le graphisme en ligne, un domaine dans lequel je dois avouer ma totale incompétence (c’est un métier) mais auquel Marie Guillaumet, par son blog, Hypsoline, par ses tweets et Ecribouille, par les moments que nous avons partagé ensemble, ont su m’intéresser.
Le retour de la linogravure ou comment j’ai fait moi-même mon papier cadeau
Noël était propice à ressortir mon matériel de linogravure, rangé en janvier dernier par manque de temps libre. Pour les fêtes, j’ai eu la folle idée de réaliser moi-même mon papier cadeau ! Ca a été un succès, au prix de deux après-midi et quelques soirées, j’ai créé trois motifs et pu imprimer des mètres de papier cadeau : aucun doute, je recommencerai l’an prochain. En attendant, je m’attelle à la réalisation de cartes de vœux selon la même technique.
Mon live tweet quotidien de l’aventure de la fabrication du papier cadeau a été un tel succès sur les réseaux sociaux qu’au moins une de mes amies a reçu un kit de linogravure au pied du sapin. Aussi est-il possible que je mette d’ici peu en ligne un tutoriel !
Salons et événements
Avant Noël, je fais souvent la tournée des salons et ventes de fin d’année des ateliers et créateurs artisanaux. Fin novembre, je me suis rendue à la traditionnelle vente de cartes de vœux de l’atelier Bo Halbirk où j’ai acquis trois petites estampes à prix imbattable. La semaine d’après c’est au salon Pages, un salon consacré au livre d’artiste et à la bibliophilie contemporaine que j’ai passé deux après-midi, mais je n’en parle pas plus dans cette chronique car j’y consacrerai un article.
Le samedi d’après c’est grâce aux éditions RLD que j’ai pu visiter le Salon SOON, un salon consacré aux oeuvres originales numérotées, comprenez multiples en tirages limités, estampes, objets, livres, sculptures, photographie. Ce salon vaut le déplacement, ne serait-ce que pour le lieu, absolument insoupçonnable : un ancien immeuble industriel, caché derrière une construction moderne du boulevard Richard Lenoir. On m’a dit que ce fut une quincaillerie ; le hall a gardé le charme de ses pavés de bois et des casiers patinés. La manifestation est à taille humaine, ce qui est rare pour un salon : en une ou deux heures, on peut espérer tout voir. Si vous recherchez la jeune création, passez votre chemin, ce sont plutôt des artistes connus, des valeurs sûres du marché de l’art qui étaient exposés : Alechinsky, Ben, Togo, Georges Rousse, Ernest Pignon Ernest… L’URDLA, dont j’ai parlé à plusieurs reprises sur ce blog possédait un très beau stand où étaient exposées les dernières éditions, notamment d’étonnante eau-fortes imprimées en taille d’épargne par Anne Laure Sacriste.
Et puis surtout, ma grosse émotion de décembre a été à la vente aux enchères des moulages de la RMN… Mais j’en ai déjà parlé dans un précédent billet alors je ne vais pas y revenir !
Expositions vues
Il me reste à parler des expositions vues, moins nombreuses qu’habituellement…
Dimanche 6 décembre, je suis allée voir l’exposition Visage de l’Effroi avec mon compagnon. J’aime bien le musée de la vie romantique et ses espaces étriqués. Le sujet de l’expo est dans la continuité de mes dernières visites : après Fantastique au Petit Palais, nous voici plongés dans la peinture inquiétante de la génération Romantique. Malgré de très belles oeuvres qui valent à elles seules le détour, j’ai été déçue de l’exposition, qui peine à rendre accessible leur iconographie complexe. Pour être totalement appréciée, l’exposition exige de saisir un certain nombre de références littéraires et culturelles pointues, que la médiation ne parvient pas à communiquer. Le catalogue me semble presque mieux que l’expo, à l’exception des reproductions, ridiculement petites !
Trois semaines plutôt, j’étais enfin allée voir l’exposition Vigée Le Brun, que j’attendais avec impatience : enfin une exposition sur cette femme artiste si importante, une des seules et rares que l’histoire de l’art, très masculine, ait retenue. Ses portraits sont si beaux et si délicats, la touche juste, notamment quand il s’agit de rendre les étoffes… Si les portraits exposés étaient magnifiques, j’ai trouvé l’exposition sans surprise, avec son déroulé strictement chronologique. Pour moi qui venais de visionner le documentaire Arte, c’était presque décevant : j’aurais aimé un peu plus de relief. Mais plus décevant encore, c’est le traitement assez pauvre de la question de la femme artiste au XVIIIe siècle, qui aurait mérité d’être traité plus finement. Le parcours invite à découvrir d’autres femmes artistes contemporaines, mais l’accrochage ne parvient pas à faire ressortir les spécificités des unes et des autres, si bien qu’on a tendance à tout attribuer à Vigée Le Brun…
Au Musée du Luxembourg, c’est une autre figure majeure du XVIIIe siècle qui est à l’honneur : Fragonnard. Un artiste à la touche enlevée et à la verve teintée d’humour. L’exposition se concentre sur un thème iconographique particulier de son oeuvre, probablement celui qui a le plus contribué à sa postérité : l’iconographie amoureuse et érotique. Sujet séduisant et oeuvres superbes, mais je suis sortie également un peu déçue. L’accrochage, chronologique, manque un peu de piment. Il se défend cependant, car, tout au long de la carrière de Fragonard, les représentations amoureuses ont profondément changé : en moins d’un siècle, on passe de l’idéal de la galanterie (tendresse et fidélité) au libertinage pour revenir à l’amour pur et niaiseux de Greuze. Fragonard peint aussi bien la tendresse de l’étreinte qu’il croque des scènes grivoises. Certains de ses tableaux évoquent sans équivoque la violence et le viol, notion tardivement reconnue. Les textes de médiation passent trop rapidement à mon goût sur cette question de la représentation du viol, alors objet de désir dans l’art occidental… Il aurait fallu remettre en contexte, explorer plus en détail le sujet de la pratique amoureuse, sexuelle au XVIIIe siècle. Ces dernières années, l’épanouissement des gender studies et de l’histoire sociale ont contribué à une avancée spectaculaire des recherches… Je suis toujours déçue de ne pas retrouver ces nouveaux savoirs dans nos expositions.
Finalement, mes deux plus belles surprises de cette exposition sont la découverte de l’œuvre de Pierre Antoine Baudoin, peintre de petites pochades libertines et l’extraordinaire Baiser de Fragonard, qui représente une étreinte désirée et complice, d’une vérité rare.

Ma dernière exposition en date est Esthétique de l’Amour qui se tient au Quai Branly. Contrairement à ce que j’imaginais, cette exposition n’a absolument rien à voir avec les rituels amoureux à travers le monde, mais traite de la production des cultures et peuples du bassin du fleuve Amour, quelque part à l’extrémité de l’Asie.

C’est la surprise des expositions auxquelles on va les yeux fermés ! Surprenante proposition du Quai Branly, fabuleux voyages en objets et en mots (les textes de salles sont remarquables), idéal pour trouver apaisement et sérénité. Mais je vous en reparlerai dans une prochaine chronique car je n’ai pas eu le temps de prendre en photo les oeuvres.
Et pour finir, en vrac…
Fin octobre, le Ginkgo Biloba des Buttes Chaumont nous a offert sa plus belle robe.
A deux pas, émerveillée, j’ai découvert la butte Bergeyre , un des secrets les mieux gardés de Paris. Un jour où l’autre je vous en reparlerai, tant l’histoire et le lieu sont surprenants : en attendant, cherchez, c’est à deux pas des Buttes !
Mi-décembre, j’ai donné mon dernier cours à l’Institut Catholique de Paris. Un campus absolument extraordinaire aux airs d’université anglaise, le tout en plein Paris ! Entre la vue sur les toits de la rive gauche et les escaliers secrets, quel cadre surprenant !
Un soir, en rentrant du boulot, je suis tombée sur la tour Eiffel bizarrement éclairée : j’ai eu l’impression de me retrouver dans une photographie du Paris des Expositions Universelles !
J’aime bien me promener, l’hiver, la nuit, dans Paris. Juste pour le plaisir des ombres chinoises que font les ferronneries sur les fenêtres éclairées.

Allez, promis, en 2016, je serai plus régulière !
L’exposition du musée de la vie romantique est parfaite pour les historiens de l’art (surtout amateurs de la période) : on se régale devant telle ou telle oeuvre pas très connue. Mais en effet je me demande ce qu’il en est pour le reste du public. Et je suis de ton avis sur le catalogue en effet.