Après avoir parlé des raisons qui me poussent à tenir Orion en aéroplane et de mes pratiques d’écriture, je comptais clôre cette série de réflexions sur ma pratique du blogging culturel par un billet sur la monétisation, question qui a occupé une part importante de nos débats lors de la table ronde de Mémoire Vive, en décembre dernier.
![Agence Rol, Geneviève Félix [allongée dans un lit, lisant un livre], photographie, 1922, Gallica/BnF](http://peccadille.net/wp-content/uploads/2016/01/export-5-710x317.jpg)
La monétisation et les partenariats sont loin d’être mes sujets préférés, mais il faut reconnaître que lorsqu’on parle de blogging, ces questions reviennent souvent. Peut-on vivre d’un blog ? Une interrogation qui touche autant aux raisons de faire qu’aux moyens de faire. Bloguer apporte-t-il des avantages ? Une autre interrogation qui soulève celle de la transparence et de l’honnêteté face aux lecteurs, à une époque où le blogging se professionnalise et où les youtubeurs deviennent des influenceurs.
Peut-on vivre d’un blog culturel ?
D’emblée, mettons les choses au clair : il ne faut pas rêver, en France, en 2016, il est impossible de vivre complètement d’un blog culturel. Ce qui est vrai pour le blogging voyage ou lifestyle ne peut clairement pas l’être pour la culture. J’imagine mal des musées, déjà étranglés financièrement, payer des blogueurs pour faire leur promotion (et tant mieux !). Le crowdfunding (financement participatif) soutient dans leurs activités quelques blogueurs « culture », mais ne peut suffire pour vivre. Quant à la vente « d’objets dérivés » (livres, sacs), elle ne peut fournir que de l’argent de poche.
![Agence Rol, Liverpool, débarquement de 2 millions de dollars-or, 250 [barres ?] en argent venant d'Amérique par le Baltic, 26 mars 1923, photographie, Gallica/BnF](http://peccadille.net/wp-content/uploads/2016/01/Liverpool_debarquement_or_Amérique-489x680.jpeg)
A ma connaissance donc, aucun blogueur culture francophone ne gagne un véritable salaire directement par son blog. Pourtant, la question de la monétisation et des partenariats est fréquemment soulevée dans ce petit milieu que nous formons.
Les dessous du blogging : monétisation et partenariat
Évolution des pratiques de communication, du marketing au monde culturel
Depuis quelques années, certaines institutions ont compris l’intérêt de mêler à leurs visites presse, journalistes et blogueurs. À l’ère de l’internet 2.0, le blogueur ou le twittos est considéré comme un influenceur ou un prescripteur de tendance, avec une « force de frappe » différente et complémentaire de celle des médias classiques. L’étendue de son réseau est peut-être moindre, mais il est solide et forme une communauté d’intérêts, donc fortement qualifiée. Le blogueur rassemble autour de lui des lecteurs qui apprécient son regard sur l’actualité culturelle, et qui consomment eux-mêmes des biens culturels. C’est ce potentiel de communication de proche en proche qui est recherché par les institutions. À titre personnel, je pense qu’il n’y a rien de mal à cela, tant que le blogueur demeure honnête dans son adresse au public.

Ce changement de pratique est en partie dû à l’importance croissante des agences de communication, à qui les institutions délèguent de plus en plus leur promotion. Ces agences, souvent polyvalentes, apportent dans le monde de la culture des pratiques marketing issues d’autres secteurs, comme ceux du tourisme ou de l’événementiel. Dans l’un comme l’autre, le recours aux e-influenceurs est plus répandu et parfois monétisé. Cette monétisation passe par l’envoi gracieux de goodies (produits promotionnels par exemple) et parfois par un chèque en échange d’un billet ou d’un lien vers le site du « sponsor ». Théoriquement, les blogueurs ont l’obligation d’informer leurs lecteurs qu’ils sont en train de lire un « billet sponso » mais tous ne respectent pas cette règle dont je n’ai jamais su si elle était tacite ou non. J’en profite pour signaler une pratique répandue dans certaines agences peu honnêtes : celle de payer le blogueur pour qu’il publie sur son blog et sous son nom un texte écrit par un chargé de com.

Qu’achètent ces agences ? Pas toujours un lectorat, mais plutôt un espace de web, des liens externes, qui seront valorisées dans les calculs de notoriété et qui (je résume à gros traits) leur permettront d’occuper les premières places des résultats Google sur certaines requêtes.
À ma connaissance, ces pratiques ne sont pas courantes dans le monde du blogging culturel. Il m’est déjà arrivé d’être contactée pour ce type de pratique malhonnête, mais les sujets proposés ne touchaient jamais à la Culture.
Ce que coûte et ce que vaut un blog
Il faut ici introduire deux idées fondamentales pour la suite. La première est qu’un blog a une valeur marchande. C’est un espace de web, plus ou moins fréquenté, qui par ses liens, s’inscrit dans un réseau. Selon sa popularité, sa fréquentation, il pèse plus ou moins lourd dans l’écosystème du web. Des outils plus ou moins fiables (surtout moins que plus) permettent d’évaluer grossièrement la valeur d’un site. Plus un blog aura de valeur, plus il intéressera les agences qui auront tout à gagner à y placer des liens ou des produits.

La seconde chose est que bloguer coûte cher. Pas tant pour l’hébergement du site ou la possession d’un nom de domaine (40 euros par an en moyenne) que pour « tout le reste » : pour un blog mode, ce sera l’achat des produits beauté, des vêtements, du matériel photo. Pour un blog culture, ce seront les entrées de musées et d’expositions, bouquins, billets de train… Et bien sûr pour tous, le temps infini que l’on y passe. J’ai parfois le vertige à compter les heures passées penchée sur le clavier, au point que parfois, je me demande « à quoi bon? ».

Échange de services ?
Pour alléger le « tout le reste » le blogueur culture peut être amené à accepter quelques « cadeaux » : une entrée gratuite dans un musée, une visite presse, un catalogue d’exposition… C’est là que commencent les questions d’éthique : accepter un « avantage » nous oblige-t-il à parler en bien du musée ou de l’exposition ? Peut-on encore en dire du mal si on n’a pas aimé ?
Comme l’a souligné Bernard Hasquenoph lors de la table ronde, cette question se pose autant pour les blogueurs que pour les journalistes classiques, englués dans deux systèmes contradictoires, celui de l’information et celui du financement. Comment critiquer une exposition alors que l’institution qui la présente achète des encarts publicitaires dans le magazine ? Comment critiquer un événement mécèné par un groupe qui possède aussi le journal ?

Ces mêmes questions se posent chez les blogueurs, mais sous un autre angle. L’amateurisme du blogging pousse parfois au tout et n’importe quoi. C’est parfois l’appât du gain ou de la célébrité qui incite à ouvrir un blog : on veut aussi devenir un influenceur, recevoir des cadeaux et goodies, organiser des concours et pourquoi pas… quitter son job pour vivre de sa « plume » ! Des agences l’ont bien compris et il existe des sites spécialisés dans la mise en relation des blogueurs et des marques. Cela donne parfois des situations cocasses, comme le relève Ecribouille dans son blog : en 2012, des dizaines de blogueuses avaient publié en même temps des billets sur Bion Energie plus, tous illustrés du même visuel… Comment encore croire à la spontanéité et à la sincérité des avis, surtout quand les trois quarts se contentaient de recopier les communiqués de presse ?

Le contrat tacite entre le blogueur et le lecteur
Ce genre d’exemple pousse à la réflexion. Quand on demande aux internautes pourquoi ils lisent des blogs, ils répondent souvent que c’est pour la fraîcheur et l’authenticité des points de vue des rédacteurs. Lire un blog régulièrement, c’est s’attacher à une personnalité, partager des intérêts communs, apprécier un regard ou une expertise sur un champ donné. Certains internautes opposent cette expérience à celle de la lecture de la presse, suspectée de conflit d’intérêt et globalement dépourvue de ce regard « sensible » (… sauf si on lit des éditorialistes ! Comme chez les blogueurs, il y a des bons et des mauvais journalistes).

Dès lors, le recours au partenariat, l’acceptation de se faire relais de campagne marketing ne casse-t-ils pas le contrat établi avec le lecteur?
À titre personnel, j’ai partiellement résolu ce conflit en me fixant deux règles. La première est de ne jamais échanger d’engagements afin de préserver mon indépendance. Si je me rends à un vernissage d’exposition et que celle-ci ne me plaît pas, je n’en parlerai pas sur mon blog (trop de choses enthousiasmantes à partager pour perdre du temps avec celles qui me déplaisent). En revanche, il est possible que j’explique ce qui ne m’a pas plu sur Twitter, média plus approprié dans ce cas.
L’autre règle que je me suis fixée c’est d’écrire un blog que j’aimerais lire. En effet, comme je l’ai déjà dit, Orion en aéroplane est aussi le journal de ma vie. J’ai envie d’en être fière quand je le relirai et de me sentir en accord avec moi-même. Je crois que c’est le meilleur garde-fou qui soit.

Dans les faits, je ne fréquente que peu les vernissages ou les voyages presse, soit parce que je ne suis pas invitée, soit parce que je n’ai pas le temps soit encore parce que ce qu’on me propose ne m’intéresse pas. Les institutions qui m’invitent sont le plus souvent des établissements dont j’apprécie le travail, comme le CMN ou la Cité de l’Architecture, et il est probable que j’aurais parlé de moi-même de leurs actualités sans qu’on m’y ait incitée.
Il m’arrive parfois de recevoir des catalogues d’exposition, ce qui me rend bien des services dans l’élaboration de mes billets, allégeant mon portefeuille d’un budget considérable. Le seul avantage que je n’arrive pas à digérer est celui de la photographie dans les musées. J’en ai parlé lors de la table ronde : à l’occasion des visites presse ou des vernissages, nous avons droit de faire des photographies pour nos publications. Ce droit n’est pas toujours octroyé au grand public lors de l’ouverture courante de l’exposition. Cela me paraît profondément injuste, car tout visiteur est un « partageur de culture » potentiel. Avoir un blog influent ne devrait pas être la condition pour obtenir le droit de diffuser des oeuvres qui nous émeuvent !
![Agence Rol, 7-4-23, Vél d'hiv, course des six jours, Aerts [devant un photographe], photographie, 1923, Gallica/BnF](http://peccadille.net/wp-content/uploads/2016/01/Vel_Hiv_Aerts-710x527.jpeg)
Si je suis parfois invitée par les institutions, la plupart des billets qui ont impliqué de passer de l’autre coté, c’est-à-dire de visiter les réserves ou de rencontrer les professionnels viennent de ma propre impulsion. Soit que c’est venu naturellement parce que je connaissais quelqu’un au sein de l’établissement, comme au Musée de l’Éducation, soit parce que j’ai fait part à l’institution de mon envie d’écrire sur tel ou tel aspect de ses activités. C’est finalement ce que je préfère car je sais que ce que je publierai me sera propre et qu’on ne le retrouvera nulle part ailleurs. Encore une fois, le souci des campagnes de presse, c’est que tout le monde parle de la même chose en même temps !
Il m’arrive de caresser l’idée de me faire connaître d’agences spécialisées dans le tourisme ou de démarcher des offices du tourisme pour obtenir des facilités de voyages. Il y a des expositions que j’aimerais couvrir, des lieux que j’aimerais découvrir sans avoir toujours le budget disponible ou les moyens matériels (je ne suis pas motorisée). Ce type de partenariat (voyage presse, sponsoring), permet d’alléger les frais d’hébergement, de transport ou de bouche. Est-ce acceptable ? Dans une démarche de transparence, peut-être, tant que le blogueur ne ment pas sur les conditions du voyage ni ne se trouve contraint dans ses choix éditoriaux.

Tout au contraire, que penser de ces blogueuses qui prétendent être spontanément allées passer une nuit dans un hôtel de leur quartier “pour se dépayser” ? D’autant plus quand le billet ressemble à un article d’un numéro de la revue d’Air France ? Cela me laisse perplexe.
On ne vit pas d’un blog mais…
On l’aura compris, on ne devient pas riche avec un blog culturel, au contraire, ça coûte… Quoique : on ne devient pas riche en monnaie sonnante et trébuchante, mais la liste des richesses que cette pratique apporte est bien longue. Tenir un blog, c’est d’abord des rencontres, avec des gens dont on partage les centres d’intérêt et qui n’auraient probablement pas croisé notre vie sans internet. Tenir un blog, c’est aussi beaucoup apprendre : sur l’écriture, sur le marketing, sur le web, sur la communication. Depuis que je tiens Orion en aéroplane, je suis beaucoup plus à l’aise pour rédiger, car je m’y entraîne quotidiennement. Publier, exposer ma pensée ne me fait plus peur : j’ai gagné en confiance en moi, même si le chemin reste long à parcourir. Même si je ne les respecte pas toujours, j’ai appris de nombreuses techniques journalistiques et pratiques de communication. Ce sont des compétences précieuses sur mon CV, tout comme celles que j’ai acquises en informatique. Avoir un blog m’a poussée à m’intéresser au web design, à bidouiller dans WordPress, à manier les réseaux sociaux.

Si un blog ne rend pas riche, c’est une excellente carte de visite professionnelle. Mon blog a finalement été ma première expérience de médiation en ligne : grâce à elle j’ai pu accéder à un métier qui me plaisait. En 2015, j’ai effectué plusieurs missions comme prestataire pour des institutions culturelles dans le domaine de la rédaction et de la stratégie de com web, et les compétences que je déployais me venaient clairement de ma pratique du blogging.
Comme le soulignait Agathe lors de la table ronde, un blog est, sur le CV d’un étudiant, un bon point évident : il montre une capacité d’engagement dans la durée sur un projet personnel. Contrairement à un stage, où l’on dépend d’une hiérarchie, la pérennité d’un blog ne tient qu’à soi-même.
Me voilà au bout des trois billets de réflexion à la suite de la table-ronde de Mémoire Vive. Les questions, commentaires, échanges que ces trois billets ont suscités ont relancé mes questionnements. Aussi puis-je d’ores et déjà vous promettre une suite à cette série : je traiterai de la dimension conversationnelle des blogs ; de la question de la vie privée et de la vie publique du blogueur… J’aimerais bien également aborder les spécificités de la consommation des blogs, aussi vous mobiliserai-je peut-être pour une mini-enquête de public ! Mais tout cela sera dans quelques mois : j’ai envie de reprendre le fil habituel de mes publications et prendre le temps de nourrir encore un peu mon propos. Vos retours et commentaires sont bienvenus !
Intéressant retour.
Pour ce qui est de l’obligation ou de signaler les articles sponsorisés, on est dans le même cas que les youtubeurs auxquels les services de l’Etat commence à s’intéresser : ne pas le signaler est prendre le risque d’être attaqué pour publicité déguisée.
Comme tu le signales bien, c’est aussi et surtout (à mes yeux) une question de qualité de relation avec son lectorat. D’honnêteté en fait…
intéressante, cette série d’analyses pourquoi et comment nous tenons un blog, je m’y retrouve assez bien (à une échelle infiniment plus modeste)
le mien ne m’a « rapporté » que quelques offres de livre et ça m’ennuie quand je ne trouve pas le livre assez bon pour en faire un billet…
j’ai aussi déjà pu me rendre compte que nos pratiques ‘bloguesques’ intéressent les chercheurs universitaires 😉
L’éternel problème du cadeau « encombrant » 🙂
Quels types de chercheurs universitaires ? Je suis (toujours) curieuse =
J’ai beaucoup aimé la dernière partie « On ne vit pas d’un blog mais… » qui décrit bien que l’on ne doit pas faire un blog pour récolter de la monnaie sonnante et trébuchante mais tout le reste qui finalement n’a pas de prix. La principale motivation pour moi est de partager mes trouvailles généalogiques et de recevoir des commentaires et des avis variés sur mon blog, et non pas de savoir si je pourrais en vivre un jour. Au plaisir de lire la suite de la série!
Comme je le disais dans mon précédent commentaire, la communauté des généalogistes blogueurs est vivante et dynamique, très soudée. C’est vraiment chouette car elle génère beaucoup d’échanges sur les réseaux. (je vais faire un billet un jour sur la dimension conversationnelle des blogs) Par ailleurs, je la trouve assez préservée des dérives marketing d’une partie de la blogosphère !
Je vous lis depuis environ trois ans. Je n’ai jamais été déçu. Je suis toujours admiratif de votre curiosité, de vos articles inattendus, à la fois érudits et légers, et solidement documentés. Je remercie pour tout ce que vous nous faites partager, pour tout le temps que vous nous donnez. Si on retourne la question du financement, pour moi, il ne fait aucun doute que nombre de vos lecteurs seraient prêts à contribuer ( sous forme d’adhésion, abonnement…) à vos activités d’infatigable exploratrice de la culture. Merci encore pour votre regard si enrichissant… Bien cordialement. Pierre
Merci ! C’est un des bons côtés de cette série de billets, dans les commentaires, je découvre de nombreux lecteurs de longtemps que j’ignorais jusqu’alors ! merci de me lire !
Pour la question du financement, j’avais en effet imaginé, pendant des périodes difficiles, lancer un appel à participation (tipee, donation, produit dérivé) pour arrondir les fins de mois. Actuellement, j’ai un boulot qui me permet de financer le blog, mais si je retombe au chômage ou si j’ai un projet construit à porter, j’y repenserais ! Merci mille fois de me faire savoir votre soutien !
Très pertinent cet article, et j’aime beaucoup le choix de photographies !
Ping : le petit karouge illustré
http://lepetitkarougeillustre.com/
Merci pour cette série très riche ! J’apprécie beaucoup tes pensées sur le sujet, et j’ai hâte pour la suite. Et les photos dans ce billet sont parfaites!