Projet 14-18. Entrer en guerre, les premiers mois du conflit

Augustin Garnault était artilleur pendant la Première Guerre mondiale. Sur le blog, je partage avec vous mes recherches sur son parcours. Pour retrouver l’intégralité des articles, c’est ici.

De la « campagne contre l’Allemagne » d’Augustin, nous conservons une centaine de lettres, mais à l’exception de celle du 4 août 1914, aucune ne date des premiers mois du conflit. Comment s’est passée son entrée en guerre ? A quel moment a-t-il rencontré pour la première fois l’ennemi ? Qu’a-t-il ressenti en entendant à nouveau retentir le canon, ce canon qui avait tant fait souffrir ses oreilles pendant le service militaire ? Quel jour a-t-il croisé pour la première fois la mort ? Quel était son état d’esprit d’août à octobre 1914 ?

Toutes ces questions que je me pose, aucune lettre n’y répondra. Pourquoi ont-elles disparu ? Car s’il est certain qu’elles ont existé, cela restera un mystère.

Extrait d'une lettre d'Augustin à ses parents, datée du 15 janvier 1915. Archives familiales.
Extrait d’une lettre d’Augustin à ses parents, datée du 15 janvier 1915. Archives familiales.

Seule mention faite aux premiers mois de guerre, une lettre datée du 15 janvier 1915 et adressée à ses parents, dans laquelle il tire le bilan suivant : « Celui qui n’a pas fait la guerre ces deux mois-là ne peut se figurer la peine et la misère que nous avons eu car maintenant c’est plutôt la guerre de siège tandis que le premier mois, on était comme fou, 5 minutes à un endroit, 5 minutes dans l’autre (…) trempés jusqu’à la peau, le lendemain ça séchait sur le dos. Dans ce moment là, on couchait toujours dehors sans se faire aucun abris car dans la nuit on avait souvent des ordre pour foutrent le camp. »

La guerre de mouvement, de la bataille des frontières à la course à la mer

Ce qu’Augustin évoque ici, c’est ce que l’on appelle aujourd’hui « la guerre de mouvement », qui précède la fixation de la ligne de front et le début de la « guerre des tranchées » en novembre 1914. Durant les premières semaines du conflit, les hommes se déplacent beaucoup. Amenés en train jusqu’aux zones de concentration, les régiments partent à la rencontre de l’ennemi. Début août, les Allemands traversent la Belgique : ils appliquent le plan Schlieffen, dont l’objectif est de prendre le plus rapidement possible Paris. La France, elle, suit le « plan XVII » sous le commandement de Joffre. La bataille des frontières dure jusqu’au 25 août, date à laquelle les Français entament une importante retraite. On craint alors que l’armée allemande s’empare de Paris, que les civils commencent à fuir. La retraite est finalement stoppée à 40 kilomètres de Paris, aux alentours de Meaux. S’engage alors, entre le 5 et le 10 septembre, la bataille de la Marne. Fin septembre, les deux armées tentent de contourner l’ennemi par le flanc, se déplaçant toujours plus vers le nord ouest. C’est ce que l’on nomme la « course à la mer » qui s’achève à Nieuport fin octobre 1914. Le front se fige et les soldats creusent des tranchées : c’est le début de la guerre de position. Le conflit durera encore 48 mois.

Suivre à la trace le 33e régiment d’artillerie.

En l’absence de lettre, pour tenter de toucher les premiers mois du conflit tels que vécus par Augustin Garnault, ne reste qu’une source, les Journaux des marches et opérations, qui nous décrivent, au jour le jour, le quotidien des soldats : ce qu’ils ont fait, où ils ont été, quels ordres ils ont reçus, où ont-ils été cantonnés, quelles ont été les pertes subies… Des JMO, on en tient à toutes les échelles : batterie, groupe de batteries, régiment, division, corps…

Dans le cas de l’unité d’Augustin, le journal de sa batterie (la 3e) n’est pas conservée. En revanche, celui de son groupe (le 1er groupe du 33e régiment) est complet du 2 août 1914 au 12 mars 1916. Un groupe rassemble trois batteries, soit un peu plus de 500 hommes et autant de chevaux. Je peux donc espérer que le JMO donne des indications assez précises pour retracer un parcours individuel.

Donc, que nous apprend le JMO sur l’entrée en guerre d’Augustin ?

20 août 1914, premiers combats

Comme Augustin l’avait annoncé dans sa lettre du 4 août, son régiment quitte Angers le 5 août. Après une longue journée d’attente, sa batterie s’embarque dans un train à 21h14. Ce n’est que le 7 août qu’ils débarquent à Toul. Ils rejoignent d’abord les autres batteries du groupe à Saint-Nicolas-du-Port avant de retrouver le reste de leur division dans la zone de concentration de Ludres. Le régiment va participer à la défense du Grand Couronné de Nancy, qui surplombe la ville à l’est. Le 12 août, la troisième batterie se voit confirmer la surveillance et la protection entre le Mont-Toulon et la cote 400. Pendant 6 jours, les hommes veillent, sans jamais apercevoir l’ennemi, sinon dans les airs, quand un aéroplane allemand en reconnaissance les survole. Le 19 août, l’état-major décide finalement de les envoyer vers le Nord. Mais après avoir cantonné place Stanlislas à Nancy, le régiment reçoit un contre-ordre : il faut retourner sur les positions quittées la veille. La marche, nocturne, est épuisante. Sur la route, les soldats croisent les premiers réfugiés qui fuient l’avancée allemande.

Illustration tirée de Frichr, Le grand Couronné de Nancy, 1917, collection "Patrie". BnF/Gallica
Illustration tirée de Frichet, Le grand Couronné de Nancy, 1917, collection « Patrie ». BnF/Gallica

C’est là, à l’endroit qu’il avait quitté l’avant-vieille, qu’à 13h, Augustin fait sa première expérience du feu.

« On entend dans le lointain, inaccessible hélas à notre 75, une détonation étouffée, puis un sifflement léger; il se rapproche, il grandit, on sent venir sur soi un bolide et le sol est secoué d’une formidable explosion. Le détonations se succèdent à intervalle de plus en plus courts. Sur les pentes des monts, des colonnes de fumée s’élèvent des points de chute et toute la vallée résonne des bruits d’avalanche que l’écho prolonge. »  (Historique de l’artillerie de la 18e division)

Pendant deux heures, les batteries d’artillerie subissent les bombardements ennemis sans pouvoir riposter. Il faut reculer les pièces, trop exposées. La batterie d’Augustin est touchée et déplore 1 mort et 11 blessés.

On imagine que ce premier combat fut horrifiant pour les jeunes soldats qui n’avaient jusque là fait que des exercices de tir dans les champs. Qu’ont-ils pensé comprenant qu’ils ne pouvaient pas riposter?

Ce qu’ils vivent est bien loin de l’imaginaire de la guerre qu’on leur a inculqué. Des batailles, ils ont l’image des mêlées héroïques, de fantassins se battant au corps à corps. La réalité de 1914 est toute autre : c’est un canon invisible et aveugle qui tire dans le tas…Bien souvent, la première chose que les soldats voient et entendent du combat lorsqu’ils s’approchent de la ligne de feu, ce sont des obus qui éclatent. Il faut alors se coucher au sol, se terrer. Ou fuir, battre retraite. Les premiers mois de la guerre seront les plus meurtriers de tout le conflit : en août et décembre 1914, 300 000 français tombent, dont 27 000 pour la seule journée du 22 août.

Le lendemain, encore, le groupe d’Augustin essuie de violent tirs d’obus. Un village est détruit : première scène de désolation observée par Augustin ? Sur le bord des routes, il a déjà dû croiser des morts abandonnés sous le soleil, des morceaux de corps déchiquetés par l’artillerie.

La forêt de Champenoux à l'automne 1914. Cette image illustre un chapitre de l'Histoire illustrée de la guerre de 1914 par Gabriel Hanotaux, édité en 1915-17. Gallican/BnF
La forêt de Champenoux à l’automne 1914. Cette image illustre un chapitre de l’Histoire illustrée de la guerre de 1914 par Gabriel Hanotaux, édité en 1915-17. Gallican/BnF

On les envoie alors à 20 kilomètres plus au sud est, près du village de Champenoux. Nous sommes le 24 août. Le 25 ont lieu de difficiles combats dans les chemins étroits et détrempés d’un bois : la batterie perd encore des hommes. Mais le 26, en s’installant dans le village de Champenoux, les soldats saisissent sept canons abandonnés par les Allemands. Augustin est de ceux qui les ramènent à Nancy, pour les exposer sur la place Stanislas.

Les canons pris par le 33e régiment d'artillerie. Place Stanislas, Nancy. Photographie tirée de l'historique du régiment, Gallica/BnF
Les canons pris par le 33e régiment d’artillerie. Place Stanislas, Nancy. Photographie tirée de l’historique du régiment, Gallica/BnF

Septembre-octobre 1914

Le 2 septembre, le groupe d’artillerie reçoit l’ordre de quitter la région. Après de longues marches, ils atteignent Barizey-la-Côte où ils embarquent dans un train. Il faudra plus d’une journée et demi pour atteindre Troyes, pourtant distante que de 150 kilomètres. Le réseau ferroviaire est engorgé et les convois avancent lentement.
Pendant une semaine, ce n’est que marches entrecoupées de combats meurtriers. Le 8 et 9 septembre, par exemple, la batterie d’Augustin est poursuivie par des Allemands à proximité de Gourgançon et deux hommes sont blessés. Le lendemain, dans un duel d’artillerie, la batterie déplore encore deux blessés et un mort. Déjà, il faut renforcer les effectifs avec de nouveaux mobilisés et de nouvelles montures, tandis que la « Champagne [est] jonchée par l’ennemi de cadavres d’hommes et de chevaux et de débris de toutes sortes. Les rêves d’une victoire rapide, un moment entrevue, sont dissipés. » (historique de la 18e division).
Toute la seconde quinzaine de septembre et jusqu’au 20 octobre, le 1er groupe du 33e régiment d’artillerie est déployé au sud-est de Baconnes puis à Wez, près de Reims. Le front, lui, s’étend toujours plus à l’ouest, c’est la fameuse « course à la mer ».
Le 21 octobre, encore, il faut se déplacer. La destination du 33e régiment d’artillerie est cette fois plus lointaine : la Belgique. Arrivé le 22 en gare régulatrice d’Etaples, les soldats débarquent à Cassel en Belgique le 23 octobre. C’est le début de la guerre de position, et le véritable début de notre correspondance.

Septembre 1914. La "course à la mer". Gsl / Wikimedia Commons. Sélectionné par Chemin de Mémoire, Nord-Pas-De-Calais
Septembre 1914. La « course à la mer ». Gsl / Wikimedia Commons. Sélectionné par Chemin de Mémoire, Nord-Pas-De-Calais

Pour aller plus loin

Ce billet est celui qui, pour l’instant, m’a donné le plus de mal pour l’écriture, car si j’ai beaucoup lu sur le vécu des soldats et sur les sources archivistiques de la Grande Guerre, je maîtrise mal l’histoire des batailles. J’ai pris beaucoup de temps à dépouiller les JMO et à placer sur une carte les lieux cités. Malgré le soin que j’y ai apporté, j’ai probablement fait des erreurs d’interprétation, aussi n’hésitez pas à me signaler celles que vous pourriez déceler, ainsi que tout éclairage complémentaire ou conseil de lecture.

8 réflexions sur “ Projet 14-18. Entrer en guerre, les premiers mois du conflit ”

  • 12 juin 2016 à 10 h 29 min
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    Le destin individuel de votre trisaïeul est bien rattaché et entrelacé au mouvement général des armées.

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    • 13 juin 2016 à 12 h 42 min
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      J’avoue que ce n’est pas le point sur lequel je suis le plus à l’aise : pas facile de replacer un JMO dans un contexte général !

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  • 12 juin 2016 à 18 h 16 min
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    Mon grand-père (1894) a été « sauvé » par un shrapnel allemand à Notre Dame de Lorette en mai 1915. Ce jour là il perdit un oeil …

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    • 13 juin 2016 à 12 h 44 min
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      La blessure qui sauve de la mort, c’est un thème récurrent dans les écrits sur la Guerre…. Le fait de survivre là où d’autres étaient morts à laisser de nombreuses blessures psychologiques. Hier encore, en lisant La fin de Chéri de Colette, cela revenait…

      Votre grand-père a-t-il vécu longtemps après la guerre ? L’avez-vous connu ?

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  • 13 juin 2016 à 21 h 32 min
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    Petit commentaire sur la forme, le timemaper est intéressant mais gagnerai à conclure l’article ou pouvoir s’afficher pleine page ailleurs… il fait un peu étriquer au milieu de l’article et brise le rythme à mon sens.

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  • 25 juillet 2016 à 15 h 56 min
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    Merci pour cet article très intéressant qui fait écho à nos propres questions que nous nous posons sur nos ancêtres ayant participé à ce premier conflit mondial. Nombreux sont ceux, survivants, à s’être drapés dans le silence…Le vécu avait dépassé les mots… Je connais bien le secteur du Grand-Couronné, ma famille étant originaire de ces lieux. Enfant, je me baladais dans les labours ramasser les vestiges des combats de Août 14 que la terre ne voulait plus.

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