Le 15 mai dernier, j’étais invitée au Musée Boucher-de-Perthes à Abbeville pour animer la conférence « l’œuvre du mois » consacrée à une vue d’optique représentant la cathédrale Saint-Lambert de Liège. Comme la fois précédente, je vous propose sur le blog une version abrégée de cette conférence.

Une vue d’optique atypique
En octobre dernier, alors que nous préparions l’exposition « Rêver l’Italie, voyager par l’image » (15 mars-29 octobre 2017), j’avais passé plusieurs heures à feuilleter, une à une, les vues d’optique du musée pour sélectionner celles qui seraient accrochées sur les cimaises. Je ne reviens pas sur la définition des estampes dites « en vue d’optique », puisque j’ai déjà largement traité de ce sujet dans un précédent billet et sur le mini-site qui accompagne l’exposition.

Le Musée Boucher-de-Perthes a la chance de conserver un très bel ensemble de vues d’optique, qui lui ont été léguées dans les années 1960 par Alice Collier, une libraire abbevilloise. La collection comprend 340 feuilles, pour l’essentiel des vues de France et d’Italie. Ce sont surtout des vues d’optique éditées par des marchands parisiens, quoiqu’il y ait quelques occurrences de vues anglaises et augsbourgeoises.

En feuilletant la collection, j’espérais repérer des pièces qui sortent un peu de l’ordinaire : vues non coloriées ou, au contraire, ajourées et montées de papiers colorés, pour les spectacles à effets diurne et nocturne. Plus l’après-midi avançait, plus je désespérais : il semblait qu’Alice Collier n’avait collecté que des vues d’optique coloriées, ne s’intéressant pas aux vues découpées, certes plus rares sur le marché.
Ce ne sont pas mes yeux mais mes doigts qui m’ont alerté alors que je parcourais les vues figurant les grandes villes de Belgique. Une des estampes était plus épaisse que les autres, renforcée au dos par des papiers contrecollés. C’est une pratique assez fréquente : pour renforcer les images destinées à être placées à la verticale dans les boîtes d’optique, leurs possesseurs pouvaient les doubler de papier de récupération (le musée d’Abbeville possède un exemple de vue d’optique doublée avec une page de… registre de prison… vierge !). Ici, le collage a été réalisé avec des pages tirées d’un livre imprimé… Mais un détail a retenu mon attention : des morceaux de tissus ont également été fixés sur le papier. Ne serait-ce pas une vue d’optique ajourée, à effet diurne et nocturne ?

Ravies de notre découverte, Agathe Jagerschmidt et moi même avons placé l’estampe face à la fenêtre : c’est bien ça ! Nous l’avions, notre vue à effet nocturne ! C’est (à mon grand regret) la seule de la collection.

Puisqu’elle ne pouvait entrer dans l’accrochage de l’exposition (la vue figure la Belgique alors que notre exposition traite de l’Italie), nous avons décidé de lui consacrer une conférence « l’œuvre du mois ». Le rendez-vous est pris pour mai 2017.
Fantomatique cathédrale Saint-Lambert de Liège
La vue d’optique représente la cathédrale Saint-Lambert et le palais des princes-évêques à Liège, comme nous l’indique la légende, soigneusement recopiée au dos de l’estampe. En comparant cette image avec la vue de Liège gravée en 1737 par Leloup et Xhrouet, on reconnait bien les deux bâtiments, quoique légèrement différents.

La cathédrale de Liège a été reconstruite à partir de 1185 dans le style gothique. C’était l’une des plus vastes d’Europe. Cependant, si vous vous promenez à Liège aujourd’hui, peu de chance que vous l’admiriez, car elle a disparu pendant la Révolution liégeoise de 1789.

Conséquence de tensions fortes entre les habitants de la ville et le pouvoir épiscopal, une révolution éclate à Liège en 1789. En 1793, les révolutionnaires décident de détruire la Cathédrale, symbole du pouvoir des princes-évêques. Mais le bâtiment est tellement imposant qu’il faudra plus de 15 ans pour venir à bout des ruines.
Leur spectacle désolé n’est pas sans séduire les artistes déjà sensibles à l’esthétique romantique. Plusieurs témoignages de la cathédrale abandonnée nous sont parvenus, notamment sous la pointe d’un graveur, Jean-Noël Chevron.
Sur l’une des estampes, on distingue, au fond, le palais des princes-évêques, qui, lui, paradoxalement, a été épargné.
Ce Palais des princes-évêques, aujourd’hui Palais de Justice de la Ville, a beaucoup évolué au cours de son histoire. À l’origine quatre tours entouraient la cour principale. Une première disparaît avant 1649. En 1734, un important incendie détruit la façade du palais et deux des tours.
La façade est reconstruite en 1737 par l’architecte belge Jean-André Annessen, dans un style classique. La dernière des tours, quant à elle, sera démontée en 1766.
Aujourd’hui, si vous visitez Liège, vous pourrez toujours admirer la façade du Palais du XVIIIe siècle. Et, en flânant sur la place, vous penserez à l’ancienne cathédrale Saint-Lambert, disparue. Des colonnes en métal matérialisent discrètement l’emplacement de l’ancienne nef.

La vue d’optique augmentée : les vues à effets
Comme je l’ai dit plus haut, cette vue n’est pas qu’une simple simple vue d’optique : elle a été préparée pour offrir un effet diurne et nocturne, en fonction de l’éclairage par l’avant (vue diurne) ou par l’arrière (vue nocturne). Certaines boîtes d’optique étaient spécialement conçues pour offrir ce spectacle, très prisé.
Si la mise en couleurs des vues d’optique est bien connue (réalisée par des petites mains à la demande des éditeurs), on sait encore peu de chose sur la production des vues d’optique à effet. Les marchands vendaient-ils ces vues déjà découpées et montées ou revenait-il au client de procéder lui-même au collage de papiers et de tissus colorés ?
Si la vue d’optique du Musée Boucher-de-Perthes présente des effets lumineux assez simples, les découpures pouvaient être beaucoup plus complexes, comme en témoignent quelques « vues trafiquées » conservées par les Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles. Perforations, découpures, papiers transparents peints…
Nota : faute de collections numérisées sur le site des Musées royaux, je ne peux partager avec vous les magnifiques vues d’optiques ajourées qu’ils conservent. On les trouvera cependant reproduites dans les ouvrages de la bibliographie.
Il fallait, pour profiter de ces vues d’optique à effets des boites d’optique spéciales, disposant de plusieurs sources d’éclairage pour basculer de l’effet diurne à l’effet nocturne. On imagine que de telles boîtes, plus complexes dans leur conception et dans leur maniement, étaient logiquement plus rares.

Je remercie l’équipe du Musée Boucher-de-Perthes, la directrice, Agathe Jagerschmidt, ainsi que les amis du musée pour leur charmant accueil. Les amis du musée ont d’ailleurs publié sur leur site internet un compte-rendu de l’intégralité de la conférence, je vous invite à le découvrir ici. S’y trouve également le petit dépliant remis aux visiteurs.

J’en profite pour vous signaler que l’exposition « Rêver l’Italie, voyager par l’image » est prolongée jusqu’au 29 octobre 2017.
Pour en savoir plus
- Le mini-site de l’exposition, créé par mes soins.
- Mon billet de 2013 sur les vues d’optiques disponibles dans Gallica.
- PALOUZIE, Hélène, DIDIER, Morgane, DE COLBERT, Henri, Le monde en perspective. Vues et récréations d’optique au siècle des Lumières. Les collections montpelliéraines de vues d’optique au château de Flaujergues, Montpellier, DRAC Languedoc-Roussillon, 2014, disponible en ligne.
- DELTOUR-LEVIE, Claudine, Le monde en vues d’optique : XVIIIe – XIXe siècles, Bruxelles, MRAH, 2009.
- LEVIE, Pierre, Montreurs et vues d’optique, Bruxelles, Sofidoc, 2006.