Les musées font leur pub (1) : le Musée de l’histoire de l’Immigration

Les campagnes de publicité des musées sont décidément très réussies ces temps-ci. Dernièrement, les parisiens ont vu fleurir dans le métro et sous les abribus les nouvelles affiches du musée de l’histoire de l’Immigration.

Nos ancêtres n'étaient pas tous des gaulois

Quatre slogans chocs imprimés en grosses lettres blanches sur des photographies sépia des années 60. « 1 français sur 4 est issu de l’immigration » ; « L’immigration ça fait toujours des histoires »; « Ton grand père dans un musée ! » ; « Nos ancêtres n’étaient pas tous des gaulois ». 

Visuellement, ça m’évoquait un peu la charte graphique des Archives Nationales, et j’ai d’abord penché pour la pub d’une O.N.G avant d’identifier l’institution concernée : la Cité de l’Immigration (dont le titre exact est aujourd’hui Musée de l’histoire de l’immigration).

Des slogans chocs pour susciter le dialogue et encourager la visite

Avec des phrases aussi directes, clairement ancrées dans les débats de société, dans un contexte de tension sociale chaque jour un peu plus perceptible, le pari était osé. C’est sans surprise que j’ai vu, dès les premiers jours de la campagne, les premiers vandalismes fleurir sur ces affiches. « Dehors ! Dehors ! » avait inscrit une main sur le slogan « 1 français sur quatre est issu de l’immigration ». « Malheureusement » précédait maintenant « Nos ancêtres n’étaient pas tous des gaulois » dans une autre station.

un français sur quatre

Un vandalisme à déplorer, mais qui – paradoxalement – témoigne de la pertinence de cette campagne publicitaire et marque son efficacité. Les affiches suscitent des réactions, qu’elles soient positives ou négatives. Certains débattent du sens des slogans dans les rames, avec un proche, un collègue ou un inconnu, d’autres taguent, mais rares sont ceux qui n’y jettent pas au moins un regard intrigué.

Percutantes, les affiches invitent au dialogue et inscrivent le musée dans l’espace public. Or, n’est-ce pas là l’un des buts des institutions muséales que de susciter l’échange, le dialogue ?

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Changer l’image d’un jeune musée [mé/mal]connu

La cité de l’immigration est une institution jeune. Ouverte en 2007, la nouvelle institution a été marquée par le contexte tendu dans laquelle elle est née : en pleine ère Sarkozy, la Cité a eu a souffrir d’une mauvaise appréhension du message qu’elle entendait délivrer.  Associée par la force des choses à l’action du pouvoir en place vis-à-vis des problématiques migratoires, la Cité a été perçue par une partie de l’opinion comme un musée instrumentalisé. Depuis, des élections sont passées par là, mais le musée est toujours taxé de « propagandisme » par ses détracteurs. Il est pourtant révélateur de souligner que l’institution n’a jamais été officiellement inaugurée et qu’elle attend toujours qu’un Président de la République s’y déplace!

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Autre difficulté pour la jeune cité : le lieu qui l’accueille n’est pas neutre. Le Palais de la Porte Doré, chef-d’œuvre de l’architecture art déco, construit pour l’Exposition coloniale de 1931, a longtemps abrité le Musée national des arts d’Afrique, d’Asie et d’Océanie dont les collections ont été versées au Musée du Quai Branly. Certains visiteurs y cherchent encore trop souvent ces collections, ou s’attendent à y découvrir l’histoire des colonies ou des Dom-Tom.

La campagne publicitaire a donc pour ambition de renouveler l’image du musée. En délivrant un aperçu plus clair du contenu du musée, il s’agit de conquérir de nouveaux publics et d’inciter à la visite. A tous, les affiches adressent le constat qu’ «un français sur quatre est issu de l’immigration » et que « Nos ancêtres n’étaient pas tous des gaulois ». Un quart des français dont ni l’histoire personnelle ni la généalogie n’est anecdotique puisque largement partagée au sein de la population. Sur la photographie, quatre écoliers regardent ensemble un territoire commun, patrimoine de la Nation.

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« L’immigration ça fait toujours des histoires » proclame une autre affiche, illustrée d’un jeune couple de danseurs à un bal populaire. C’est peut-être le slogan le plus osé de la campagne puisqu’il assume clairement le caractère polémique de son sujet dans le contexte social actuel. Un internaute a récemment suggéré sur twitter que l’on fasse précéder « histoires » de « belles », mais la photo dit ce que les mots taisent…

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Ton grand père dans un musée

« Ton grand-père dans un musée » interpelle directement le français dont un ancêtre a fait, il y a quelques décennies, le choix de la France. Ce slogan, qui vise ce quart de la France « issu de l’immigration » est symboliquement fort. Le musée est la vitrine du patrimoine, l’endroit où l’Histoire de la Nation s’expose. Entré au musée, l’immigrant d’hier est reconnu comme appartenant à cette Histoire au même titre que le serment du jeu de Paume, une relique royale ou la carte d’un électeur du XIXe siècle. D’ailleurs, le changement récent de l’intitulé de l’institution est révélateur de cette volonté : le titre de Musée, qui a remplacé celui du Cité lui donne une force symbolique nettement supérieure. Durant la dernière décennie, on a renommé à tour de bras des institutions en « cité » voulant véhiculer une image plus dynamique, jeune, vivante que le traditionnel « musée », jugé « poussiéreux ». Retour de balancier, on se rend aujourd’hui compte que le titre « cité » a surtout brouillé les cartes pour le visiteur qui découvre l’institution : on a des cités administratives, des cités des sciences, des cités sensibles, et…  une cité de la céramique, une cité de l’architecture… 

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Faut-il un musée pour l’histoire de l’immigration ? Réflexion d’une néophyte sur les musées « d’identité »

Un musée des Arts et traditions populaires (mort), un musée de l’histoire de France (à Versailles, fermé depuis longtemps et pour encore longtemps), un projet d’une maison d’histoire de France (enterré), un Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (nouveau-né), un musée de l’histoire de l’immigration… cinq institutions, l’une disparue, la seconde soustraite aux yeux du public, la troisième jamais concrétisée, les deux dernières très récentes, pour parler d’un même sujet : l’identité et de son histoire au sein d’une culture mondialisée. Nationales, régionales, locales ou communautaires, fallait-il donc tant de musées pour parler de l’identité, des identités ?

Je fais partie de ceux qui regrettent le défunt M.N.A.T.P. imaginé par Rivière dans les années 30 et ouvert au lendemain de la seconde guerre mondiale. Le MuCEM a hérité des collections d’arts et traditions populaires françaises mais son projet scientifique et culturel, axé, comme son titre l’indique, sur les Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, ne les exploitera pas à leur juste mesure. Le projet du MuCEM est pourtant louable et même nécessaire, mais avec de si riches collections, n’y avait-il pas de quoi faire vivre les deux musées, possiblement sous une direction commune ?

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Quant au Musée de l’histoire de l’Immigration, il est légitime en ce qu’il affirme comme appartenant à l’histoire nationale une partie de la population dont jusqu’alors on ne reconnaissait pas assez la place. Cependant, on pourrait reprocher à la Cité de l’immigration, en étant consacrée à la seule histoire des immigrants de l’isoler volontairement du reste de l’Histoire nationale. De ce fait, on pourrait réclamer un musée d’histoire de la Nation, qui traite tout autant des arts et traditions populaires régionaux que de l’immigration ou que de la Révolution. Bref, un véritable musée de l’histoire commune.

Note: cette réflexion n’est pas issue d’une expérience de visite personnelle des trois musées cités mais des échos de leurs programmes respectifs qu’en ont fait la presse et les réseaux sociaux. Il est donc totalement subjectif et potentiellement erroné.

Pour conclure en revenant à nos moutons, c’est-à-dire la campagne publicitaire de la Cité de l’Immigration, sachez qu’elle m’incite très fortement à la visite ! Ce sera l’occasion de revoir ma réflexion au regard du message délivré dans l’espace muséologique.

Pour aller plus loin: si le sujet vous intéresse, ne manquez pas l’interview de Mercedes Erra sur le blog Culture et communication (signalé par Louvre pour tous). Il y est rappelé que cette très belle campagne publicitaire a fait l’objet d’un mécénat de compétence : la RATP, JC Deceaux, Le Monde, TV Magazine et Psychologie ont gratuitement mis à disposition les panneaux d’affichage tandis que l’agence BetC s’est chargée de la conception graphique. Pour suivre les réactions des internautes à la campagne, il existe aussi un storify consacré à cette question.

Des trains royaux. Quand la Galerie des Glaces prend le RER.

Des trains royaux. Quand la Galerie des Glaces prend le RER.

Depuis leur lancement il y a quelques mois, je les avais empruntées à deux ou trois reprises. Mais ces derniers jours, je suis tombée sur les rames « Versailles » du RER C trois fois de suite. L’occasion de prendre quelques photos et de leur consacrer un billet.

RER C train Versailles

Alors que le matériel roulant de la ligne C du RER fait l’objet d’un progressif renouvellement, l’état d’usure des plus anciennes rames se fait de plus en plus criant en regard des voitures flambantes neuves. Pour lutter contre cette disparité la SNCF a mis en œuvre une solution originale : en attendant leur remplacement, cinq trains ont été relookés à moindre coût. Et pas n’importe quel relooking, un relooking royal ! Les deux étages des wagons se sont transformés en Galerie des Glaces, Galerie des Batailles, Grand Trianon, bibliothèque du roi et autres pièces Versaillaises emblématiques.

C’est pour le château de Versailles, desservi par ces trains, un bon coup de pub, qui vise autant les touristes (10% des usagers de la ligne) que les utilisateurs quotidiens dont on espère susciter la visite du monument.

RER C VersaillesLe contraste entre l’extérieur vieillissant des trains et l’intérieur coloré est saisissant. Il est très plaisant d’admirer les plafonds dans des conditions qui n’ont rien à envier à la vraie Galerie des Glaces. En effet, les peintures reproduites sur les parois du train, plus proches de nous, se prêtent mieux à la contemplation qu’au milieu de la foule qui piétine les couloirs du château. Un peu plus et on pourrait y faire des T.D.O de l’Ecole du Louvre. Si on observe mieux le programme iconographique conçu par Le Brun, on ne peut en revanche pas le relier à son contexte architectural.

La technique mise en œuvre pour le relooking de ces trains est assez simple : d’immenses autocollants en vinyle sont venus couvrir les plafonds et les parois. On imagine le casse-tête qu’a dû être l’adaptation de l’œuvre originale à cet espace confiné. Evidemment, en écrivant ces lignes, je pense à Albert Robida, qui aurait certainement beaucoup apprécié cette initiative. Dans un précédent billet, j’avais cité ce passage où, imaginant les développements à venir de la photographie, il rêvait de papier peint permettant de reconstituer les Noces de Cana dans un modeste appartement.

L’originalité des RER « Versailles » est d’avoir renouvelé l’idée des stickers autocollants comme support promotionnel dans les transports. Alors que d’habitude on relooke l’extérieur des voitures (il y a d’ailleurs eu de très belles réussites sur le métro de Rouen), ici c’est l’intérieur qui a été visé… car finalement c’est là que le voyageur passe le plus de temps !

Si elles surprennent les voyageurs et égayent le trajet quotidien, les belles rames ne font pas oublier aux usagers leurs récriminations contre les incidents qui émaillent trop souvent leur parcours.

RER C Versailles chambre Reine

Le succès des rames relookées et le recul du vandalisme observé dans les trains concernés a incité la SNCF a renouveler l’opération. Circule donc maintenant un train aux couleurs des tableaux impressionnistes du musée d’Orsay sur la ligne J (Paris- Saint-Lazare / Vernon / Mantes la Jolie/ Gisors). Si les voyageurs de la branche Versailles-rive gauche ont 25% de chance de tomber sur un train relooké, il est plus difficile pour les usagers de la ligne de J d’emprunter une rame impressionniste, puisqu’un seul train est pour l’instant concerné par cette opération.

Au-delà de ces coups de marketing culturel, je rêve d’une généralisation de cette pratique… Comme les transports en communs seraient plus agréables ! Qu’il serait fabuleux d’inviter des artistes, des designers, des graphistes, des graffeurs à proposer leur propre pelliculage! Et par sa complexité technique, la conception d’un décor pour un wagon formerait un bel exercice dans les écoles d’art ! Alors, la SNCF, on lance un concours jeunes créateurs ?