Quiétude des images. Manière noires de Judith Rothchild

Quiétude des images. Manière noires de Judith Rothchild

Le dernier billet que je vous ai livré était très intime, beaucoup plus que ceux que je publie habituellement ici. Récit à la première personne d’un moment en solitaire dans l’atelier de l’artiste Judith Rothchild, avec qui je partage beaucoup, à commencer par l’amour de l’estampe.

Judith Rothchild, Feathers, manière noire. Publiée avec l’autorisation de l’artiste, reproduction interdite.

Judith et moi, nous nous connaissons depuis quatre ou cinq ans. Nous nous sommes rencontrées un jour de juin, à la foire de l’estampe de Saint-Sulpice. Je devais écrire un compte-rendu de la manifestation pour les Nouvelles de l’estampe et Lise Follier-Moralès, une artiste que je connais, m’avait fortement encouragée à m’arrêter devant le stand de Judith, une des rares graveuses contemporaines à pratiquer la manière noire. J’avais admiré son travail, et nous avions longuement discuté. Nous nous sommes ensuite revues, de salons en expositions, jusqu’à ce que je descende découvrir le village du sud de la France où elle vit et travaille. Depuis, je ne fais pas un voyage dans la région de Montpellier sans lui rendre visite.

En mai dernier, j’ai passé dix jours en sa compagnie pour l’aider dans une tâche importante : l’établissement de son catalogue raisonné gravé, c’est-à-dire la liste de toutes les estampes qu’elle a créées. C’est une expérience très particulière que d’accompagner une artiste et amie dans ce travail, tant il est intime : il faut ouvrir tous les tiroirs, les placards, les portefeuilles, inventorier chaque image, exhumer des feuilles oubliées. Travail de mémoire, travail délicat : avec les gravures ressurgissent les souvenirs personnels, les moments de la vie dans lesquels sont nées telles ou telles oeuvres.

Le chantier de l’inventaire des gravures de Judith Rothchild. Judith me montrant l’un de ses autoportraits

Travail émouvant, captivant, travail fastidieux également : compter, recompter, mesurer, transcrire, photographier. Toute une rigueur, toute une méthode. Le cocktail des deux peut se révéler parfois éprouvant, épuisant, pour l’une comme pour l’autre.

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Dans l’atelier de Judith Rothchild

Dans l’atelier de Judith Rothchild

Ce texte a été écrit dans l’atelier de Judith Rothchild en août 2017. Je me promets de vous parler depuis très longtemps du travail de cette artiste dont je suis proche. Ceux qui me suivent sur Twitter ont pu vivre par procuration l’établissement de son catalogue raisonné, que j’ai effectué en mai 2018 et que je relatais sur les réseaux sociaux.
Si je publie aujourd’hui ce texte, c’est pour vous inciter à aller voir son exposition à la galerie de l’Echiquier à Paris, dont j’ai signé le texte d’accompagnement (16 rue de l’Echiquier, 10e arr., jusqu’au 23 novembre) et l’exposition que le musée Médard (Lunel, jusqu’au 16 mars 2019) consacre à la maison d’édition Verdigris, que Judith a fondée avec son compagnon Mark Lintott.

Judith Rothchild, Nid trouvé, manière noire. Publié avec l’autorisation de l’artiste, reproduction interdite.

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Plongée dans Videomuseum et réminiscence de mon adolescence

Plongée dans Videomuseum et réminiscence de mon adolescence

Ces souvenirs d’adolescence qui ressurgissent quand on ne s’y attend pas. Aujourd’hui, je vais vous parler de mes années lycée, de mon rapport d’alors avec l’art contemporain, et de comment, onze ans plus tard, des images enfouies ont ressurgi à l’occasion d’une table ronde professionnelle.

En exclusivité, une photo de Peccadille adolescente, en 2006 dans une magnifique pose tout à fait spontanée.

Mardi 24 avril, j’assistais à la seconde session de « Can I Use It ? », une rencontre autour de la question des droits et usages des images dans le domaine de l’histoire de l’art. Ces rencontres sont proposées dans le cadre du programme « Iconautes, Images / Usages » porté par la Fondation de France et l’Institut national d’Histoire de l’art, qui vise à faire un état des lieux des pratiques de diffusion (et d’utilisation) des images patrimoniales. Lire la suite

Les géométries amoureuses d’Othoniel

Les géométries amoureuses d’Othoniel

Cet été, l’artiste Jean-Michel Othoniel est à l’honneur à Montpellier et Sète avec une double exposition « Géométries amoureuses ». Au CRAC (Sète), l’artiste présente ses dernières créations. Au Carré Sainte-Anne (Montpellier), il déploie sa collection personnelle – c’est-à-dire celles de ses oeuvres qu’il a choisies de conserver pour lui plutôt que de les vendre.

Vue de l’exposition Géométries Amoureuses, se collectionner soi-même, de Jean-Michel Othoniel, à Montpellier

Othoniel, assurément, vous connaissez : il est l’auteur d’une des plus célèbres bouches de métros de Paris, celle de la Place Colette au Palais Royal. Le « Kiosque des noctambules » (2000), avec ses grosses perles colorées et ses carreaux argentés. Certains adorent, d’autres détestent, mais personne ne reste indifférent.

Longtemps, je n’ai connu Othoniel qu’à travers ce kiosque féerique et de gros colliers exposés à la FIAC (qui ne m’avaient à l’époque pas du tout plu). Et puis, en 2011, le Centre Pompidou a programmé une très belle rétrospective dont je garde quelques images éblouies – une barque échouée – ; d’autres, plus énigmatiques – des tas de soufre.

Jean-Michel Othoniel, Le bateau de larmes, barque et perles, 2004, exposée au Centre Pompidou en 2011

Le temps a passé et quand Jean-Luc Cougy du blog En Revenant de l’Expo a annoncé une double exposition Othoniel dans sa région, j’ai sauté sur la première occasion de venir la voir (et le voir !).

Jean-Luc, qui m’a accompagné dans ma découverte, avait suivi la visite presse en présence de l’artiste (le chanceux !) – j’ai ainsi pu bénéficier de ses connaissances de l’œuvre, mais aussi de ses conseils pour découvrir les deux parcours dans les meilleures conditions possibles.

Note au lecteur : ce billet de blog contient beaucoup de photos de l’exposition et constitue un véritable spoiler. Aussi, si vous comptez déjà vous y rendre durant l’été, je vous conseille sincèrement de garder la lecture de ce billet pour plus tard. Les émotions sont beaucoup plus fortes si on y entre sans rien en avoir aperçu.

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Remonter le temps au FRAC Bretagne

Remonter le temps au FRAC Bretagne

J’ai toujours été attirée par les œuvres qui posent la question de l’archivage de soi-même, de la mémoire de sa propre créativité. Aussi, quand, étant de passage à Rennes pour un déplacement professionnel, j’ai lu l’argument de l’exposition estivale du FRAC Bretagne, je me suis dit que je ne pouvais rater l’événement. Une expo qui explore à la fois la thématique de l’autobiographie dans la création artistique et celle de l’appropriation des codes muséaux et archivistiques par les artistes, c’était une exposition conçue pour moi !

Vue de l’exposition « Remonter le temps » au FRAC Bretagne. Au fond, une oeuvre de Boltanski

Impressionnée (et déboussolée) par le très beau bâtiment signé Odile Decq, qui abrite depuis 2012 le FRAC Bretagne, j’ai commencé l’exposition par le milieu, découvrant, dans la galerie est, l’immense installation d’Ilya Kabakov, qui m’a déroutée avant de me séduire.

Bâtiment du FRAC Bretagne à Rennes par Odile Decq.

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Retours sur un stage de linogravure à l’URDLA

Retours sur un stage de linogravure à l’URDLA

Mi-octobre, je me suis offert un petit cadeau : un stage de linogravure à l’URDLA. Dans un précédent billet, je vous avais raconté mes premiers pas dans cette technique. Après quelques mois de pratique autodidacte, je souhaitais me perfectionner auprès de personnes expérimentées.
L’URDLA proposait justement un stage animé par l’artiste Jérémy Liron sur le thème de la ville graphique. Il n’en fallait pas plus pour me convaincre et me voici en route pour deux jours lyonnais particulièrement intenses.

Résultat de ma linogravure à la plaque perdue
Résultat de ma linogravure à la plaque perdue

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Decentre Acentre

Curios & Mirabilia, la collection d’art contemporain du château d’Oiron

Dans le précédent billet, je vous racontais l’histoire du château d’Oiron, depuis la Renaissance jusqu’à sa décrépitude au XIXe siècle. Ses magnifiques décors des XVIe et XVIIe siècles en font un monument remarquable, la collection d’art contemporain qu’il abrite ajoute à la singularité des lieux. C’est de cette collection que je vais aujourd’hui vous entretenir.

Concerto pour mouches
Ilya Kabakov, Concerto pour mouches, 1993, FNAC/Château d’Oiron

Une collection d’art contemporain pour réveiller la belle endormie

Depuis 1993, le château d’Oiron accueille une collection d’art contemporain. Intitulée « Curios & Mirabilia », elle a été constituée autour de la thématique des cabinets de curiosités, faisant ainsi écho à la fabuleuse collection disparue de l’illustre bâtisseur d’Oiron, Claude Gouffier. Chaque œuvre contemporaine interroge, sur un mode singulier, l’histoire, les sens et la portée des cabinets de curiosités, l’imaginaire qui leur est aujourd’hui associé et comment le musée moderne réactive ou dialogue avec cette forme ancienne de collectionnisme. La multiplicité des sens qui se dégagent de cet ensemble d’œuvres, les différents niveaux de lecture qu’elles proposent rendent l’art contemporain accessible et « parlant » pour tous, ce qui est, à mon sens, un des atouts majeurs d’Oiron.

Cosmographie
Lothar Baumgarten, Les animaux de la pleine lune, une cosmographie de la Touraine, 1987, collage, FNAC/Château d’Oiron

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Château d’Oiron : de la Renaissance à nos jours

Château d’Oiron : de la Renaissance à nos jours

L’histoire du château d’Oiron est un peu celle de tous les châteaux du Pays de la Loire et du Poitou : une ancienne forteresse rebâtie en belle demeure de plaisance à la Renaissance et agrandie aux siècles suivants. Orion ne pourrait être qu’un château de plus sur une carte touristique qui en compte des centaines. Mais il n’en est rien : par la collection d’art contemporain qu’il accueille depuis 1993, le château d’Oiron détonne et étonne, rendant sa visite inoubliable.

Chateau d'Oiron
Façade du château d’Oiron

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S’immerger dans l’hélice terrestre de Jacques Warminski

S’immerger dans l’hélice terrestre de Jacques Warminski

Peu de chance de tomber par hasard sur l’hélice terrestre, étrange architecture sculpture perdue dans la campagne entre Angers et Saumur. Une œuvre tapie dans la terre, au creux des cavités d’un ancien village troglodyte, l’Orbière, auquel on accède par de petites routes.

La salle alvéolaire, le clou de l'hélice terrestre
La salle alvéolaire, le clou de l’hélice terrestre

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Portes ouvertes à l’Ecole des Beaux-Arts : plongée entre histoire et avenir

Portes ouvertes à l’Ecole des Beaux-Arts : plongée entre histoire et avenir

Il y a deux semaines, l’École des Beaux-Arts ouvrait ses portes pour fêter la fin de l’année et les nouveaux diplômés. Un moment particulier de l’École où, dans une ambiance joyeuse et foutraque, les ateliers — exceptionnellement rangés — s’ouvrent à tous les vents et les joyaux patrimoniaux, jalousement gardés, se dévoilent aux yeux des curieux.

Une année de plus, je quitte Paris précisément ce week-end-là. Mais cette année, exceptionnellement, les portes ouvertes s’étalent sur quatre jours : juste ce qu’il faut pour que j’y passe en coup de vent.

Atelier de fresque à l'Ecole des Beaux-Arts
Atelier de fresque à l’Ecole des Beaux-Arts

Revenir à l’École des Beaux-Arts, c’est toujours un moment d’émotion pour moi. J’ai passé des heures à la bibliothèque, à éplucher les inventaires et les registres, pour reconstituer l’histoire d’une collection d’images. La création de la bibliothèque au XIXe siècle et le rôle des images dans celle-ci, tel était mon sujet de mémoire. Plus tard, pendant quelques mois, j’y ai travaillé. Avec la conservatrice de l’époque, je classais des centaines d’estampes, entassées là au début du XXe siècle et que personne n’avait jamais vraiment rangées. C’est ainsi que nous avions découvert, entre deux chromolithographies, une quarantaine d’affiches de mai 68. Partout l’École transpire l’histoire. Lire la suite

Le vitrail contemporain s’expose à la Cité de l’Architecture

Le vitrail contemporain s’expose à la Cité de l’Architecture

Tout l’été, la Cité de l’Architecture et du Patrimoine propose d’explorer l’art du vitrail contemporain, principalement dans les édifices religieux. Avec des œuvres de Chagall, Matisse, Soulages, voici une exposition qui a tout pour surprendre, dévoilant un aspect souvent méconnu de la création contemporaine.

Affiche de l'exposition : un détail d'un vitrail de Carole Benzaken pour l'église Saint-Sulpice de Varennes-Jarcy
Affiche de l’exposition : un détail d’un vitrail de Carole Benzaken pour l’église Saint-Sulpice de Varennes-Jarcy

Quand j’ai vu apparaître le vitrail contemporain dans la programmation de la Cité de l’Architecture, j’ai été ravie : la question m’intéresse depuis le lycée. En Terminale, “les artistes et l’architecture” était au programme du bac d’histoire de l’art et j’avais étudié avec un certain plaisir les œuvres de Soulages à Conques, Morellet au Louvre, Marguerite Huré au Havre…

La question du vitrail contemporain est passionnante à plusieurs égards. Tout d’abord, elle touche au renouvellement d’un art pluricentenaire, doté d’une tradition très prégnante. D’autre part, elle touche à l’inscription des formes contemporaines dans un espace sacré – et parfois ancien. Enfin, elle explore quelque chose de méconnu du grand public, mais essentiel dans la marche des arts au XXe siècle : l’union des savoir-faire d’artisans d’art avec la créativité d’artistes novateurs, produisant ainsi à quatre mains de nouvelles formes et techniques…

L’exposition de la Cité de l’Architecture ne prétend pas à l’exhaustivité, bien au contraire : à travers quelques exemples soigneusement choisis, elle dresse un panorama de 70 ans de création.

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Fornasetti, la folie pratique : une joyeuse accumulation d’images

Fornasetti, la folie pratique : une joyeuse accumulation d’images

Jusqu’au 14 juin 2015, le musée des Arts Décoratifs accueille une rétrospective consacrée à Piero Fornasetti. Un illustre inconnu car si chacun a déjà croisé une de ses créations, peu en connaissent l’auteur. Il est temps de remettre un nom sur cet œuvre foisonnant, joyeux et polymorphe qui joue avec notre culture visuelle !

Fornasetti_Visages

Je connaissais Fornasetti pour ses visages de femmes commercialisés sous forme d’assiettes ou de carreaux de cuisine, mais j’ignorais tout simplement la personnalité singulière et fantasque qui en était le créateur. Dès la première salle, j’ai eu l’assurance que nous allions nous entendre : Fornasetti est un amateur d’estampes. Comment ai-je pu l’ignorer si longtemps alors que son œuvre rejoint tous mes centres d’intérêt ? L’image imprimée et ses détournements, le vocabulaire graphique de la taille douce, que Fornasetti aime imiter dans les autres médiums… Mais surtout, Fornasetti est un accumulateur d’images, un collectionneur de visuels, comme Jules Maciet, l’initiateur des albums d’images de la bibliothèque des Arts Décoratifs.

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A la découverte de l’URDLA, Centre international de l’estampe et du livre

A la découverte de l’URDLA, Centre international de l’estampe et du livre

Installée à Villeurbanne, l’URDLA – Centre international de l’estampe et du livre est un lieu d’art contemporain dédié à l’estampe. Structure unique en Europe, elle perpétue un savoir-faire traditionnel, initie des artistes aux techniques de l’estampe et accompagne les recherches de ceux qui en ont fait leur moyen d’expression de prédilection. Lors de mon dernier séjour lyonnais, j’ai été reçue par le directeur de l’URDLA, Cyrille Noirjean, qui m’a accordé un entretien passionnant, la matière du présent billet (et de plusieurs autres, qui ne sauraient tarder à venir).

Matrice linogravée d'une oeuvre de Damien Deroubaix, El Sueno, URDLA.
Matrice linogravée d’une oeuvre de Damien Deroubaix, El Sueno, URDLA.

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La FIAC hors-les-murs, apprenez à apprécier l’art contemporain!

La FIAC hors-les-murs, apprenez à apprécier l’art contemporain!

Je suis loin d’être une grande fan de la FIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain) qui a lieu tous les ans à Paris. Prix exorbitant de l’entrée, snobisme du milieu… A mes yeux, la FIAC est à l’art ce que la Fashion Week est à la mode: déambule autour du Louvre, pendant une semaine, une concentration d’êtres vivant parfois sur une planète très lointaine de la notre. En revanche, un événement qui accompagne la manifestation remporte mon suffrage: la FIAC hors-les-murs. 

La FIAC-hors-les-murs, gratuit et pour tous!

Le principe est simple: des galeries réputées du monde entier présentent dans les jardins des Tuileries des œuvres monumentales. Au nombre d’une vingtaine chaque années, elles offrent un panorama pertinent de l’art ultra-contemporain et des axes de réflexion engagés par les artistes. Face au succès de la FIAC-Hors-les murs depuis 2006, le programme a été étendu au Jardin des plantes et aux berges de la Seine.

Mais ce qui donne à l’événement de la FIAC hors-les-murs tout son intérêt, c’est le dispositif de médiation qui l’accompagne. Tous les après-midi, des étudiants de l’Ecole du Louvre présentent aux visiteurs les œuvres. Passionnés par l’art ultra-contemporain, ils sont là pour délivrer quelques clés de lecture, répondre aux questions du public et guider l’oeil des néophytes. Si vous êtes assez peu réceptif à l’art contemporain, la proposition originale pourrait vous faire changer d’avis. J’ai gardé un souvenir ravi de certaines prestations extrêmement bien menées et captivantes!

Un Best-Off des éditions 2010, 2011 et 2012

Que voit-on à la FIAC hors-les-murs? Pour vous convaincre de vous y rendre, j’ai rassemblé quelques uns de mes coups de coeur des éditions précédentes.

Sumusu Shingu, Sinfonietta of light, FIAC hors-les-murs, Jardin des Tuileries, 2012
Sumusu Shingu, Sinfonietta of light, FIAC hors-les-murs, Jardin des Tuileries, 2012

Mes plus beaux souvenirs sont ceux de quelques œuvres poétiques, le plus souvent installées sur les bassins. En 2012, j’avais été séduite par la délicatesse de la danse des mobiles du japonais Sumusu Shingu. Telles des oiseaux blancs, les dix sculptures d’acier et de tissu s’animaient sous l’action du vent, des mouvements de l’eau et de leur propre gravité… L’année précédente, au même endroit, Antoine Dorotte, un artiste français, avait installé son oeuvre intitulée Una misteriosa bola. Sorte d’immense boule couverte d’écailles de zinc, elle évoquait pour les uns un artichaut, pour d’autres une fleur de lotus. Onirique, à la fois acérée par ses écailles et douce par sa forme sphérique, l’oeuvre évoluait au fil des variations climatiques: l’effet de la pluie et du vent avait conféré une patine changeante aux plaques de zinc qui la recouvraient.

Antoine Dorotte, Una misteriosa bola, FIAC hors-les-murs, Jardin des Tuileries, 2011
Antoine Dorotte, Una misteriosa bola, FIAC hors-les-murs, Jardin des Tuileries, 2011

En 2012, The origin of the World de l’artiste londonien Marc Quinn émergeait du grand bassin est. Haut de 3 mètres, ce coquillage de bronze une référence explicite au célèbre tableau de Courbet, L’origine du monde et donc au sexe féminin.

Marc Quinn, The Origin of the World, FIAC hors-les-murs, Jardin des Tuileries, 2012
Marc Quinn, The Origin of the World, FIAC hors-les-murs, Jardin des Tuileries, 2012

Souvent, les œuvres présentées engagent un dialogue fort avec le cadre dans lequel elles s’inscrivent. Ainsi, en 2012, Meurtrière, de Nicolas Milhé rappelait aux visiteurs toute la profondeur historique et symbolique du Jardin des Tuileries. Simple meurtrière de béton, son installation offrait deux visions de l’environnement. D’un côté, les visiteurs apercevait à travers une étroite fente l’obélisque de la Concorde, les Champs-Elysées et l’Arche de la Défense. De l’autre, ce paysage se reflétait sur un grand miroir. Deux manières d’encadrer le paysage et d’évoquer les axes qui structurent la ville : celui disparu des fortifications d’une part et celui de la « Grande perspective » qui va du Louvre à la Défense de l’autre.

Mon petit tour d’horizon ne serait pas complet sans évoquer la puissante Somme des hypothèses de Vincent Mauger. Monumentale architecture de planches de bois brisées rayonnant autour d’un noyau d’acier et d’aluminium, la sculpture exerçait sur le visiteur une dérangeante sensation contradictoire d’attraction et de répulsion.

Vincent Mauger, La Somme des hypothèses, FIAC hors-les-murs, jardin des Tuileries, 2011
Vincent Mauger, La Somme des hypothèses, FIAC hors-les-murs, jardin des Tuileries, 2011

Enfin, je dois parler de Body Versus Twizy de Jean-Luc Moulène. Sans l’excellente médiation de deux étudiantes de l’Ecole du Louvre, cette sculpture m’aurait laissée relativement indifférente. Il s’agissait d’un corps à la forme indéfinissable, et à la surface lisse et colorée comme une carrosserie de voiture. Body Versus Twizy était une réflexion sur la présence des voitures dans le paysage urbain. L’artiste a été marqué par la relative indifférence de la population aux voitures, que l’on considère souvent comme un désagrément visuel. La sculpture faisait écho à l’effet visuel que produisent les carrosseries colorées en mouvement. Réalisée grâce au savoir-faire des ouvriers de l’usine Renault, l’oeuvre était étonnante de perfection et de subtilité. Il était impossible de la saisir d’un regard, si bien qu’il fallait tourner autour pour en admirer toutes les modulations.

Jean-Luc Moulène, Body Versus Twizy,FIAC hors-les murs, Jardin des Tuileries, 2011
Jean-Luc Moulène, Body Versus Twizy,FIAC hors-les murs, Jardin des Tuileries, 2011

Informations pratiques

L’accès au jardin est gratuit. Les étudiants de l’Ecole du Louvre vous accueillent tous les après-midi du 24 au 27 octobre de 15h00 à 17h30. Ils sont bénévoles et c’est pour certain d’entre eux leur première expérience de médiation: soyez-indulgent!

Si vous avez un peu de temps, n’hésitez pas à vous promener dans les Tuileries les jours qui suivent la fin de la FIAC. Le démontage des oeuvres est parfois spectaculaire!

Plus d’informations sur la page de la FIAC-hors-les-murs.

Kristin McKirdy: 4 ans de résidence à la Cité de la Céramique

Kristin McKirdy: 4 ans de résidence à la Cité de la Céramique

Jusqu’au 14 janvier, la cité de la Céramique à Sèvres proposait aux visiteurs de découvrir l’œuvre d’une céramiste contemporaine, Kristin McKirdy, qui vient d’achever une résidence de 4 ans dans l’institution. Compte-rendu d’une visite aux cotés de l’artiste, dans le cadre d’une sortie du groupe SMV.

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Kristin McKirdy, une figure majeure des arts décoratifs

Américaine née au Canada, la céramiste Kristin McKirdy a choisi de s’installer en France il y a vingt ans. Elle est aujourd’hui l’une des plus grandes créatrices de la scène des arts décoratifs français. Son travail a été primé en 2009 par le Prix de l’Intelligence de la Main, décerné par la Fondation Bettencourt Schueller.

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L’exposition de la Cité de la Céramique est articulée en deux parties : au rez-de-chaussée, dans l’espace des expositions temporaires, sont présentées une cinquantaine de pièces illustrant le travail de l’artiste durant ces vingt dernières années. A l’étage, mêlées aux collections permanentes, les quinze pièces exposées sont le résultat de la résidence de Kristin McKirdy à Sèvres, entre 2008 et 2012.

Vingt ans de création : des œuvres qui parlent aux sens

Bien qu’il ambitionne de résumer vingt ans de création, le parcours de la première partie de l’exposition ne se veut pas chronologique mais sensible. Dans une scénographie épurée et aérienne, toute la place est laissée à l’esthétique des œuvres.

P1310131Les pièces les plus anciennes de l’exposition datent de la période où Kristin McKirdy travaillait le grès. Il s’agit de deux vases fuseaux à l’épiderme bleu, d’une sensualité extrême.

Quand elle découvre la faïence, un matériau imposant moins de contraintes techniques et permettant une mise en œuvre plus sculpturale, son vocabulaire change. Les créations de Kristin McKirdy évoluent alors vers des formes plus rondes, organiques, sensuelles.

Pendant plusieurs années, le travail de création de l’artiste s’est organisé par cycle. Le rapport de l’homme à son environnement, la maternité, la destruction sont au nombre des thèmes qui ont guidés son travail. Si aujourd’hui l’artiste ne procède plus ainsi, ses œuvres restent toujours liées à ces questions à ces thématiques.

Bien que ces thèmes soient au cœur même du processus de création, l’artiste refuse de les imposer aux spectateurs. Souhaitant que ces œuvres entrent librement « en dialogue avec l’imaginaire du spectateur, son bagage, sa propre expérience », elle a demandé à ce qu’il n’y ait aucun cartel apposé dans les salles. Et cela ne pose aucun problème : les œuvres se suffisent à elles-mêmes. Elles sont même tellement fascinantes et si bien exposées que l’on ne cherche même pas ces titres absents. Et pourquoi une explication fixe alors que pour l’artiste ses œuvres sont tout à la fois « un paysage, un corps humain, un couple… et une sculpture, tout simplement » ?

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Les œuvres de Kristin McKirdy sont caractérisées par un vocabulaire formel composé de volumes arrondies, sphériques, sensuelles. L’artiste aime jouer sur l’opposition entre la surface et l’intérieur, sur l’apparente perfection du volume (car jamais ses sphères ne sont tout à fait régulières). Outre le volume, l’artiste porte un intérêt marqué au travail de l’épiderme de ses œuvres, affectionnant les effets de surfaces contrastés : s’opposent l’aspect lisse et brillant de l’émail et la surface rugueuse et mate de la terre travaillée. Le même goût du contraste se retrouve dans les coloris : aplats intenses vifs et primaires affrontent des épidermes blancs ou gris et mouchetés.

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S’offrant à la vue, les œuvres de McKirdy procurent une immense sensation d’apaisement. Mais rapidement, l’envie de toucher, de caresser les surfaces et les formes devient irrésistible. On voudrait effleurer l’émail brillant, lisse et froid, soupeser la sphère, tâter son irrégularité à peine perceptible. P1310128Les œuvres semblent presque posséder un pouvoir d’attraction. Il apparaît vite que seul au toucher elles pourraient complètement se révéler. Une tension et une tentation manifeste dont l’artiste a pleinement conscience et sur laquelle elle avoue jouer dans cette exposition. Car certaines de ses œuvres sont originellement conçues comme manipulable. Ainsi, telle sculpture évoque un jeu d’adresse. Les sphères sont amovibles et dissimulent des trous. Plus loin, pour démontrer un propos, elle se saisit d’un des membres d’une œuvre intitulé Famille. Et le public fond d’envie de pouvoir faire de même.

Quatre ans de résidence à la manufacture de Sèvres

A l’étage, la présentation du travail de Kristin McKirdy se poursuit dans le parcours d’exposition des collections permanentes avec quinze œuvres réalisées durant la résidence de l’artiste à Sèvres entre 2008 et 2012. Le choix scénographique de confronter des pièces contemporaines et des porcelaines du XVIIIème siècle prolonge le dialogue avec l’histoire des ateliers de Sèvres, que l’artiste a engagé pendant ses quatre ans de résidence. Du fait de sa formation première en histoire de l’art, Kristin McKirdy ne pouvait rester indifférente face au riche passé historique de la manufacture et aux extraordinaires collections et archives que son musée conserve. Cet intérêt s’est matérialisé par différents biais, tant sur le plan technique que formel.

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Lors de sa résidence, Kristin McKirdy a expérimenté pour la première fois la technique de la porcelaine, fleuron du savoir-faire de la manufacture de Sèvres. Explorant les archives de l’institution, l’artiste, aidée des artisans, a par ailleurs cherché à retrouver certains secrets d’émaux particulièrement précieux. Enfin, au terme de ce dialogue Kristin McKirdy s’est confrontée à la question du décor et de l’ornement, qu’elle avait jusque là occulté de son travail. Explorant le répertoire ornemental du XVIIIème, elle a produit Famille et Bones.

Bones, 2012

Ces quinze pièces, qui clôturent l’exposition, invitent la poursuite de la visite dans les collections historiques du musée, témoignent de la richesse des approches de Kristin McKirdy face à l’histoire de la manufacture. Pari réussi pour la Cité de la Céramique, donc, qui avait invité l’artiste afin qu’elle « explore le répertoire de Sèvres et en propose une relecture contemporaine »

Mes sincères remerciements à l’équipe de la Cité de la Céramique, qui a offert au groupe SMV une excellente soirée et à l’artiste pour nous avoir donné, avec une simplicité et gentillesse, des clés pour comprendre son travail.