Le XIXe siècle a eu un goût marqué pour les prouesses techniques. Dans les arts décoratifs, les exemples en sont pléthoriques. Le musée du Louvre conserve ainsi un fabuleux déjeuner chinois réticulé, dit de Marie-Amélie qui témoigne des recherches de pointe menées à Sèvres sur la porcelaine sous la Monarchie de Juillet.
Manufacture de Sèvre, Déjeuner « chinois réticulé », 1840, porcelaine dure, musée du Louvre.
Picasso n’a pas seulement été un peintre : sculpteur, graveur, céramiste, il a été la figure même de l’artiste multidisciplinaire et touche à tout. L’exposition « Picasso céramiste et la Méditerranée », actuellement présentée à la cité de la Céramique met en lumière une facette de son œuvre qui, malgré sa richesse, demeure inconnue du grand public.
Picasso peignant le grand plat chouette, Cannes, 1957, succession Picasso
En 1946, alors qu’il séjourne dans le sud de la France, Picasso visite à Vallauris l’atelier Madoura, fondé par Georges et Suzanne Ramié. Le couple, installé depuis dix ans dans cette ville à forte tradition potière, cherche à renouveler les formes de la céramique populaire. Avec un bout de terre qu’on lui confie lorsqu’il pénètre dans l’atelier, Picasso modèle un petit faune encadré de deux taureaux, qui sera le point de départ d’une longue série de créations.
Un an plus tard, Picasso revient à Vallauris pour explorer plus en avant les techniques de la céramique. Il s’installe à l’atelier Madoura, où il observe les tourneurs travailler avant de s’y essayer. Picasso se jette à corps perdu dans l’exploration du matériau: entre juillet 1947 et octobre 1948, il crée près de 2000 pièces! Une production si prolixe peut surprendre: comment parvient-il, en si peu de temps, à s’approprier une technique qu’il ne connait a priori pas, si ce n’est qu’il s’y est brièvement essayé dans sa jeunesse, en 1905?
On touche là à l’un des aspects les plus fascinants de la personnalité de Picasso : sa capacité à s’approprier une nouvelle technique, à en saisir l’essence et à y insuffler un peu de son génie créateur. C’est souvent une rencontre marquante qui pousse Picasso à explorer un nouveau médium. Ainsi, dans le domaine de l’estampe, il expérimente les techniques au gré de ses collaborations avec des quelques imprimeurs parmi les plus doués de leur temps : la lithographie avec Mourlot à partir de 1945, la linogravure avec Arnéra à partir de 1946. De même, en 1963, sa rencontre avec les jeunes frères Crommelynck sera déterminante dans son retour à la taille douce.
Picasso, Corrida et personnages, 1950, terre cuite, Paris, collection privée
Ses œuvres naissent de la collaboration étroite et stimulante avec des artisans parfaitement formés : en peu de temps Picasso parvient à s’approprier les spécificités d’un matériau et à en tirer les meilleurs partis plastiques. Le savoir-faire de l’imprimeur ou du céramiste lui assure une justesse technique, un support auquel il greffe son génie créatif.
A l’atelier Madoura, Picasso a essentiellement travaillé avec le tourneur Jules Agard. Picasso l’observer monter des pots, auxquels il « tord ensuite le cou »; exprime ses désirs de formes.
Parce qu’il n’a jamais été formé à la céramique, Picasso ose tout, ne s’interdisant aucune expérimentation, outrepassant les règles établies de la tradition manuelle : il emploie les outils qui lui tombent sous la main, attaquant par exemple la terre avec ses instruments de graveurs. C’est là un des secrets de son immense inventivité.
L’exposition dresse un large panorama de la production céramique de Picasso. En 20 ans, il aura créé quelques 4000 pièces. Certaines sont uniques, d’autres ont été éditées en série par l’atelier, plusieurs artisans étant chargés de reproduire les modèles imaginés par le maître : c’était un moyen pour Picasso de démocratiser son art.
Picasso, Vase aux danseuses, 1950, terre cuite et son moule, succession Picasso
Le visiteur ne peut qu’être frappé par la diversité des formes, des styles et des iconographies : assiettes, vases, figurines ; modelages, formes tournées, jeux d’engobes ou décors émaillés ; animaux, personnages, symboles… On regrette cependant que les commissaires n’aient pas mis en regard de ces céramiques les très nombreuses estampes que l’artiste produit à la même période. Les liens entre les céramiques et les linogravures sont pourtant souvent évoquées dans les textes qui accompagnent l’exposition. Que ce soit dans l’esthétique ou dans les sujets figurés par Picasso, les influences réciproques sont évidentes. Sans cesse, Picasso navigue entre les aplats purs d’encres colorés que produisent la linogravure et les jeux d’émaux et d’engobe sur la terre.
Picasso, Françoise au chignon fleuri, 1950, terre cuite, collection particulière
L’exposition s’attache à explorer quelques-uns des thèmes majeurs de l’œuvre de Picasso dans les décennies 1950 et 1960 : la tauromachie, la mythologie antique, la figure féminine. Elle montre aussi, avec brio, les riches influences de l’histoire de l’art sur l’œuvre de cet artiste. Picasso, fin connaisseur, a beaucoup fréquenté les musées, se confrontant aux productions des civilisations anciennes et aux œuvres des plus grands maîtres. On découvre ainsi (dans une salle à part, ce qui est un peu dommage), certaines des sources qui l’on marqué: la céramique antique, les statuettes de Tanagra, les moulages de Bernard Palissy et les modelages de Gauguin.
La scénographie sobre et épurée, met en lumière les œuvres dans de subtils jeux de perspectives qui invitent au dialogue entre les œuvres. Je ne doute pas que cette exposition séduira même les plus réfractaires à l’art moderne! A voir entre esthètes ou en famille!
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