Facebook m’a appris il y a peu que se tiendrait à Lyon la première édition de Beaux Dégâts hors de Montréal! Beaux Dégâts, c’est un concept fabuleux inventé il y a deux ans à la Fresh Paint Gallery : une soirée, de la musique, de la bonne humeur et une battle de graffeurs!
Beaux dégats, septembre 2012, Fresh Paint Gallery, Montréal
C’était il y a un peu plus d’un mois, je traversais le Marais, ralliant la BPI depuis les Archives Nationales. Nous étions entre chien et loup, et comme j’aime le faire, j’explorais aléatoirement les combinaisons de ce chemin quotidien. Au détour de la rue des Blancs-Manteaux, la niche d’une fenêtre murée. Je ne l’avais jamais remarquée auparavant. Dans l’ouverture aveugle, un artiste des rues a niché une ville miniature et immense. Une invitation au voyage lointain et immobile.
Collage de Popeye, Rue des Francs Bourgeois, Paris 3e, février 2014
Montréal est une ville extrêmement dynamique en matière de création contemporaine et s’est notamment illustrée durant ces dernières décennies dans le domaine du street art. Durant mon séjour, cet aspect de la culture urbaine m’a beaucoup intéressée. J’ai notamment été marquée par l’Espace Peint Frais ou Fresh Paint Gallery, qui me semble être une expérience originale et méritant la réflexion.
Under Pressure
Un lieu pour exposer et promouvoir le Street Art
En juin 2011, à la faveur du festival de graffiti UnderPressure¹, Sterling Downey, aidé de plusieurs bénévoles, investit les locaux. Ils y ouvrent un nouveau lieu destiné à la création et à la promotion du street art dans les anciens locaux du journal montréalais La Patrie, en plein centre ville. Deux étages du bâtiment sont transformés en espace d’exposition, intitulé « Fresh Paint Gallery ». Mais il ne s’agit pas d’une galerie dans le sens traditionnel du terme: ici, pas de roulement d’expositions, pas de commissariat, pas de catalogue, pas de cartels avec des prix. Continuellement, la présentation des oeuvres change, évolue, au fil des interventions des artistes, à qui rien n’est interdit: ici, tout est espace d’expression, du sol au plafond.
I love Cheese
Outre l’exposition permanente d’un certain nombre d’installations, le lieu vit de plusieurs dizaines d’évènements, dont le plus prisé est sans nul doute « Beaux-Dégats » dont la dernière édition a eu lieu dans le courant du mois d’octobre. Le principe est simple: 6 équipes de 4 à 5 artistes/graffeurs s’affrontent durant une battle. Un thème est imposé en début de soirée : les équipes ont alors 2 heures pour réaliser une oeuvre sur un panneau de deux mètres sur deux. Le public déambule librement, sur un fond musical mixé par deux DJ, et vote, à l’aide de canettes de bière vidées, pour la (les) réalisation(s) de son choix. La bière n’est pas chère, et l’ambiance excellente.
Fresh Paint – soirée battle « Beaux-Dégats »
Le Street Art s’expose-t-il hors de la rue?
Le Street Art étant habituellement cantonné à des pratiques urbaines et illégales, la question de son exposition en galerie, voir même en musée pose évidement question. Quelle est la légitimité de la galerie a présenter un art conçu pour la rue? Extraire le Street Art de son contexte transforme-t-il son sens?
Les attitudes face à cette question de l’exposition dans les galeries et de la marchandisation d’un art né de la rue sont très diverses. Si certains acteurs du Street Art refusent toute forme de présentation hors de la rue, d’autres recherchent la reconnaissance du marché de l’art « conventionnel », allant même jusqu’à produire des graffiti ou des pochoirs sur toile. Pour certains, même, la pratique du street art n’est qu’une étape dans le développement de leur carrière d’artiste: la rue permet de « se faire connaître » et ainsi de pénétrer progressivement le marché de l’art traditionnel.
Coin boutique
Fresh Paint, en n’adhérant pas exactement aux règles traditionnelles du monde des galeries, affirme un statut à part. Ici, l’artiste dispose d’une plus grande liberté : c’est cela que de nombreux acteurs du Street Art montréalais apprécient. L’espace est entièrement géré par des bénévoles, il n’y a ni contrat d’exclusivité ni engagement financier de la part des exposants. Si certaines oeuvres sont pourtant à vendre, c’est dans un espace spécifique du bâtiment (proportionnellement assez réduit par rapport à la surface totale d’exposition) qui s’apparente plus à une boutique qu’à une véritable galerie: on y trouve des multiples, des produits dérivés (types t-shirt), à tous les prix. La création accessible à tous!
Soirée beaux-dégats
Quant à la question de l’environnement de création, la configuration des lieux, la nature même des murs en font de Fresh Paint un espace similaire à ceux habituellement explorés par les street artistes. Certes, les problématiques de la circulation, du point de vue ne sont pas tout à fait les mêmes que dans la rue, par exemple. Au delà de ces points, l’artiste retrouve ici la possibilité de dialoguer librement avec les éléments déjà en place, comme il le ferait en contexte urbain. De plus, par ses aspects de « squatt », Fresh Paint ne ressemble-t-il pas un peu aux usines désaffectées qui accueillent certains créateurs?
Et l’avenir?
Conçu comme un projet temporaire et estival, Fresh Peint a fêté ses 14 mois d’existence. Le succès est toujours au rendez-vous. Cependant, «Rester un an, c’était contre nos principes parce qu’on est devenu une institution, a avoue Sterling Downey, le fondateur du lieu. Ce n’est pas parce qu’il existe un lieu que ça crédibilise le « street art ». Un graffiteur n’a pas besoin d’une institution pour valider son œuvre².» Afin de se renouveler, l’équipe de Fresh Paint a décidé de fermer son espace de la rue Sainte-Catherine pour s’installer dans de nouveaux locaux dont l’adresse sera révélée dans les semaines qui viennent.
Certainement mon oeuvre préférée
Pour en savoir plus: le blog de Fresh Paint, sa page facebook et son fil twitter
¹ Depuis 1996, le festival Under Pressure rassemble chaque été, durant 3 jours, des graffeurs du monde entier. Les Foufounes électriques haut lieu de la culture underground sont le quartier général de cet évènement.
Le 1er juillet, alors que tout le Canada célèbre la fête nationale, Montréal déménage. Car ici, on fête le Québec le 24 juin. Le 1er juillet, c’est tout au plus un jour chômé pratique pour déménager: à cette date, tout le monde à la tête dans les cartons; sur la chaussée, c’est le ballet des camions, et sur le trottoir s’amoncellent les meubles et vieux objets dont on ne veut plus. J’étais partie en vadrouille avec l’idée qu’une telle journée pouvait être un excellent sujet photo. Chemin faisant, j’ai croisé, sur le Plateau-Mont-Royal, de bien étranges inscriptions sur quelques vieux meubles abandonnés. Amusée de ces phrases bien tournées, j’ai suivi à la trace ces malicieux poètes urbains, mais j’ai bien vite perdu la piste quelque part sur la rue Fabre….
Mourir démembré, je ne le souhaite à personne, Garbage Beauty, 2012
… Pour la retrouver deux mois plus tard, à deux blocs de chez moi, à Fresh Paint Gallery. Derrière les inscriptions qui avait tant piqué ma curiosité se cache « Garbage Beauty ».
Installation Garbage Beauty à Fresh Paint Gallery, 2012
Garbage Beauty, c’est un groupe de quatre jeunes montréalais (dont un français). Le soir, la veille des poubelles, ils sillonnent le Plateau, Hochelaga-Maisonneuve ou la Petite Patrie, inscrivant au fil des découvertes parmi les déchets des phrases élégamment calligraphiées. Leur démarche s’inspire de celle d’un groupe bulgare, les Trash Lovers, qui, depuis quelques années, graffent eux aussi les poubelles, dans le but de rendre le quotidien des éboueurs plus joyeux et des travaux de quelques calligraphes contemporains tels Luca Barcellona.
Ils tracent sur nos objets abandonnés des phrases qui nous invitent à réfléchir sur notre société de consommation. Mais tout ça sans jugement, toujours avec poésie et humour. Ils révèlent l’âme du meuble, en lui donnant « une dernière parole », en essayant de raconter son vécu avant la rue.
« c’est des oeuvres éphémères. Donc, ce qu’on fait, même des fois on est pas satisfaits mais c’est éphémère donc ça disparaît, ça part. C’est comme une ardoise, ça s’efface. »
La vie c’est mieux que les images, Garbage Beauty, 2012 (photo prise sur le site web du groupe)
Pour en savoir plus: le journal montréalais Le Devoir a publié le 3 août 2012 un article assez fouillé sur le groupe Garbage Beauty (Emilie Folie-Boivin, « Des Hommes et des lettres« ). On trouve également sur vimeo un reportage de cinq minutes sur le groupe.
La première fois que j’ai vu une oeuvre d’Emmanuel Laflamme c’était dans un des gratuits gay distribués sur Sainte-Catherine Est. Frappée par le détournement d’une madone jouant à la game boy, j’ai découpé cette image que je croyais la création d’une agence de com’. Deux mois plus tard, à l’occasion de la cinquième édition de Beaux-Dégats à la Fresh Paint Gallery, j’ai pu mettre un nom sur l’image que j’avais collé dans mon carnet de voyage et découvrir le travail d’Emmanuel Laflamme…
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