Dans un précédent billet, je vous parlais de Guernica et de l’émotion que j’ai ressentie lorsque je l’ai vu, en vrai, pour la première fois.
En ce moment, le musée Picasso, à Paris, consacre une exposition à ce chef-d’œuvre qui a marqué l’art moderne. Une exposition Guernica, mais sans Guernica : l’œuvre ne peut plus quitter le Reina Sofia pour des raisons de conservation… et, de toute façon, jamais l’hôtel Salé du Marais n’aurait été en capacité d’accueillir la foule que le tableau aurait immanquablement déplacée.
Pablo Picasso, Guernica, huile sur toile, 1937, Musée Reina Sofia, Madrid.
Une expo Guernica sans Guernica, est-ce que cela vaut le coup ? Oui ! Du moins, moi, j’ai beaucoup apprécié la visite : redécouverte la genèse de l’œuvre, l’onde de choc qu’elle a provoquée… Le tout servi par un bel accrochage, comprenant un célèbre portrait de Dora Maar, de précieuses études dessinées, un superbe ensemble d’estampes, parmi les plus importantes réalisées par l’artiste. Bref, de quoi vous convaincre, j’espère, de faire le déplacement.
Scénographie de l’exposition Guernica à Paris, 2018
En 2015, j’ai fait un bref séjour à Madrid, une ville qui regorge de grands musées. Une des étapes obligées est la visite du Reina Sofia, qui abrite depuis 30 ans l’œuvre la plus célèbre de Picasso, Guernica. Qu’est-ce que ça fait de voir en vrai Guernica ?
La foule devant Guernica, Musée Reina Sofia, Madrid. Photo via Jean R (Tripadvisor, licence non connue)
Ce billet a été rédigé en 2016 et était depuis resté en brouillon. Je le publie finalement en écho à l’exposition Guernica, au musée Picasso (printemps-été 2018) : une exposition « Guernica sans Guernica » (le tableau ne voyage plus depuis 1981), mais néanmoins passionnante : je vous en recommande vivement la visite.
Pour mon premier voyage à Madrid, je ne tenais pas particulièrement à voir Guernica : je l’ai mille fois aperçu sur des pages de papier glacé, il est dans tous les cours d’histoire et m’a toujours — avouons-le — fait un peu peur.
Ayant un timing serré et étant face à une offre muséale exponentielle, j’ai favorisé les salles du Prado, mais j’ai néanmoins profité de la nocturne du mardi soir pour consacrer quelques heures aux salles du musée d’art moderne, le Reina Sofia. Lire la suite →
Pablo Picasso, Francis Bacon, Antoni Tapiès, Joàn Miro : voici quelques grands noms qui suffisent à évoquer toute la vitalité de l’estampe d’après-guerre. Mais les maîtres qui ont façonné et façonnent encore l’estampe contemporaine ne sont pas seulement les artistes-graveurs : les imprimeurs d’art et les éditeurs jouent également un rôle majeur dans ce domaine. Jusqu’au 13 juillet 2014, la BnF rend hommage à l’un des plus brillants artisans de l’estampe contemporaine, Aldo Crommelynck, imprimeur d’art.
Red Grooms, Portrait of AC, 1994, Eau-forte et aquatinte, BNF. Red Grooms portraiture Aldo Crommelynck entrain de travailler sur une de ses matrices
Picasso n’a pas seulement été un peintre : sculpteur, graveur, céramiste, il a été la figure même de l’artiste multidisciplinaire et touche à tout. L’exposition « Picasso céramiste et la Méditerranée », actuellement présentée à la cité de la Céramique met en lumière une facette de son œuvre qui, malgré sa richesse, demeure inconnue du grand public.
Picasso peignant le grand plat chouette, Cannes, 1957, succession Picasso
En 1946, alors qu’il séjourne dans le sud de la France, Picasso visite à Vallauris l’atelier Madoura, fondé par Georges et Suzanne Ramié. Le couple, installé depuis dix ans dans cette ville à forte tradition potière, cherche à renouveler les formes de la céramique populaire. Avec un bout de terre qu’on lui confie lorsqu’il pénètre dans l’atelier, Picasso modèle un petit faune encadré de deux taureaux, qui sera le point de départ d’une longue série de créations.
Un an plus tard, Picasso revient à Vallauris pour explorer plus en avant les techniques de la céramique. Il s’installe à l’atelier Madoura, où il observe les tourneurs travailler avant de s’y essayer. Picasso se jette à corps perdu dans l’exploration du matériau: entre juillet 1947 et octobre 1948, il crée près de 2000 pièces! Une production si prolixe peut surprendre: comment parvient-il, en si peu de temps, à s’approprier une technique qu’il ne connait a priori pas, si ce n’est qu’il s’y est brièvement essayé dans sa jeunesse, en 1905?
On touche là à l’un des aspects les plus fascinants de la personnalité de Picasso : sa capacité à s’approprier une nouvelle technique, à en saisir l’essence et à y insuffler un peu de son génie créateur. C’est souvent une rencontre marquante qui pousse Picasso à explorer un nouveau médium. Ainsi, dans le domaine de l’estampe, il expérimente les techniques au gré de ses collaborations avec des quelques imprimeurs parmi les plus doués de leur temps : la lithographie avec Mourlot à partir de 1945, la linogravure avec Arnéra à partir de 1946. De même, en 1963, sa rencontre avec les jeunes frères Crommelynck sera déterminante dans son retour à la taille douce.
Picasso, Corrida et personnages, 1950, terre cuite, Paris, collection privée
Ses œuvres naissent de la collaboration étroite et stimulante avec des artisans parfaitement formés : en peu de temps Picasso parvient à s’approprier les spécificités d’un matériau et à en tirer les meilleurs partis plastiques. Le savoir-faire de l’imprimeur ou du céramiste lui assure une justesse technique, un support auquel il greffe son génie créatif.
A l’atelier Madoura, Picasso a essentiellement travaillé avec le tourneur Jules Agard. Picasso l’observer monter des pots, auxquels il « tord ensuite le cou »; exprime ses désirs de formes.
Parce qu’il n’a jamais été formé à la céramique, Picasso ose tout, ne s’interdisant aucune expérimentation, outrepassant les règles établies de la tradition manuelle : il emploie les outils qui lui tombent sous la main, attaquant par exemple la terre avec ses instruments de graveurs. C’est là un des secrets de son immense inventivité.
L’exposition dresse un large panorama de la production céramique de Picasso. En 20 ans, il aura créé quelques 4000 pièces. Certaines sont uniques, d’autres ont été éditées en série par l’atelier, plusieurs artisans étant chargés de reproduire les modèles imaginés par le maître : c’était un moyen pour Picasso de démocratiser son art.
Picasso, Vase aux danseuses, 1950, terre cuite et son moule, succession Picasso
Le visiteur ne peut qu’être frappé par la diversité des formes, des styles et des iconographies : assiettes, vases, figurines ; modelages, formes tournées, jeux d’engobes ou décors émaillés ; animaux, personnages, symboles… On regrette cependant que les commissaires n’aient pas mis en regard de ces céramiques les très nombreuses estampes que l’artiste produit à la même période. Les liens entre les céramiques et les linogravures sont pourtant souvent évoquées dans les textes qui accompagnent l’exposition. Que ce soit dans l’esthétique ou dans les sujets figurés par Picasso, les influences réciproques sont évidentes. Sans cesse, Picasso navigue entre les aplats purs d’encres colorés que produisent la linogravure et les jeux d’émaux et d’engobe sur la terre.
Picasso, Françoise au chignon fleuri, 1950, terre cuite, collection particulière
L’exposition s’attache à explorer quelques-uns des thèmes majeurs de l’œuvre de Picasso dans les décennies 1950 et 1960 : la tauromachie, la mythologie antique, la figure féminine. Elle montre aussi, avec brio, les riches influences de l’histoire de l’art sur l’œuvre de cet artiste. Picasso, fin connaisseur, a beaucoup fréquenté les musées, se confrontant aux productions des civilisations anciennes et aux œuvres des plus grands maîtres. On découvre ainsi (dans une salle à part, ce qui est un peu dommage), certaines des sources qui l’on marqué: la céramique antique, les statuettes de Tanagra, les moulages de Bernard Palissy et les modelages de Gauguin.
La scénographie sobre et épurée, met en lumière les œuvres dans de subtils jeux de perspectives qui invitent au dialogue entre les œuvres. Je ne doute pas que cette exposition séduira même les plus réfractaires à l’art moderne! A voir entre esthètes ou en famille!
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