À certains moments de la vie, des questions se font pressantes, on regarde le chemin derrière soi et on se demande : « pourquoi suis-je là ? Quels hasards, assemblés bout à bout, font que j’ai suivi ce parcours-ci ? »
Parfois, un souvenir remonte à la surface, un détail vécu prend tout son sens, un proche, par une réflexion anodine, délivre une pièce du puzzle. Dernièrement, alors que je visitais l’exposition « Claude Gellée » au Petit Palais, un souvenir fugace m’est revenu. En lisant le titre « Claude Gellée dit Le Lorrain » sur la banderole à l’entrée, j’ai eu la vision des fiches en papier glacé sur les grands peintres que ma mère collectionnait. Je me souviens de tout : leur format, leur aspect, le contact du papier, leur odeur. Les fiches sur les tableaux de Claude Gellée portaient un bandeau entre le pourpre et le marron.

Entre mes huit et mes douze ans, ma mère était abonnée aux Géants de la peinture, une sorte de collections de cartes Panini de luxe pour adulte. Sur une face, une belle reproduction d’un tableau ; au dos, un cartel et un texte explicatif sur trois colonnes. Tous les mois, nous recevions un ensemble de vingt ou trente fiches en papier glacé que nous rangions dans des boîtes cartonnées tapissées du motif d’un tableau de Monet, Champ d’iris jaunes à Giverny. Je me souviens des soirées passées avec ma mère, sur le grand lit parental ou sur la table du salon, à classer, avidement, les fiches nouvellement reçues.