Si vous vous intéressez un tant soit peu à l’histoire de Paris, nul doute que vous avez déjà croisé l’une de ses photographies, et peut-être retenu son nom, Eugène Atget. L’homme, devenu photographe sur le tard, est l’auteur d’un œuvre considérable : plus de 8000 clichés lui sont attribués. Nombre d’entre eux concernent Paris. De 1897 à son décès, en 1927, Atget a méticuleusement photographié chaque rue ancienne de la capitale, chaque détail pittoresque, tout ce que Paris comptait d’immeubles menacés, de petits métiers mourants, jusqu’à écrire « Je possède tout le vieux Paris ».
Eugène Atget,Petit bras de la Seine au Pont Neuf, 1898, Gallica/BnF
Aujourd’hui, ces clichés, tirés avec plus ou moins de soin, se trouvent par milliers dans les grandes institutions parisiennes et – par les hasards des rencontres et des passions – au MoMA à New York. Numérisés, ils font le bonheur des nostalgiques du Paris d’autrefois. Pour ce nouveau billet, je vous propose une exploration – forcément superficielle – de l’immense œuvre de ce photographe « documentaliste » .
Pendant les Journées du Patrimoine 2018, « Dans les pas d’Atget », visite guidée pour la BNF.
Paris immortalisé, Paris comme nous ne le verrons jamais plus, Paris un peu mystérieux. Si les photos d’Atget ont parfois une aura de mystère, la carrière de leur auteur n’est elle-même pas dénuée d’énigmes… Lire la suite →
Au dernier étage des Invalides, sous les toits, il y a un musée aussi fabuleux que méconnu, bien qu’il ait fait en 2012 l’objet d’une très belle exposition au Grand Palais. J’ai nommé le musée des plans-reliefs, ou comment faire le tour des cités fortifiées françaises sans quitter la capitale !
Le 15 mai dernier, j’étais invitée au Musée Boucher-de-Perthes à Abbeville pour animer la conférence « l’œuvre du mois » consacrée à une vue d’optique représentant la cathédrale Saint-Lambert de Liège. Comme la fois précédente, je vous propose sur le blog une version abrégée de cette conférence.
Bergmüller, La résidence du prince évêque de Liège, vue d’optique gravée à l’eau-forte et coloriée, éditée à Augsbourg après 1737. Musée Boucher-de-Pethes, Abbeville, 1405-172.
Une vue d’optique atypique
En octobre dernier, alors que nous préparions l’exposition « Rêver l’Italie, voyager par l’image » (15 mars-29 octobre 2017), j’avais passé plusieurs heures à feuilleter, une à une, les vues d’optique du musée pour sélectionner celles qui seraient accrochées sur les cimaises. Je ne reviens pas sur la définition des estampes dites « en vue d’optique », puisque j’ai déjà largement traité de ce sujet dans un précédent billet et sur le mini-site qui accompagne l’exposition.
Support visuel de la conférence (cliquez pour visualiser – ouvre une nouvelle fenêtre).
Un jour, au hasard d’une promenade, j’avais découvert un des secrets les mieux gardés de Paris : cinq rues, isolées du tumulte incessant de Paris, perchées sur leur butte et protégées par un rempart d’immeubles. La Butte Bergeyre, peut-être un des seuls lieux qui n’a pas volé son titre de « Campagne à Paris ».
Vues sur Paris depuis la butte Bergeyre
Pour y accéder, il faut avoir la curiosité et le courage de gravir l’un des deux escaliers traversant la ceinture d’immeubles qui enserre la butte Bergeyre. Un jour où je me promenais le long des Buttes-Chaumont, cet escalier dont je ne voyais pas le bout m’a intriguée. Courageusement, j’ai gravi les douze mètres de dénivelé. Au sommet, de charmantes petites maisons m’attendaient. Je venais de tomber par hasard sur ce lieu dont j’avais déjà vaguement entendu parler, la fameuse butte Bergeyre. Lire la suite →
Paris est une des destinations les plus prisées des touristes : chaque année, ils sont des millions à fouler le trottoir des Champs-Elysées, les parquets du Louvre et les pavés de Montmartre, irriguant tout un pan de l’économie française. Alors que les récents attentats inquiètent sur la vitalité du secteur, la galerie des bibliothèques de la ville propose un regard sur trois siècles d’histoire du tourisme dans la capitale.
Jules Chéret, Champs-Elysées. Jardin de Paris, affiche lithographiée, 1890, Gallica/BnF
Je ne pouvais pas rater cette exposition qui croise plusieurs de mes centres d’intérêt : l’histoire de Paris, mais aussi l’histoire du tourisme, pratique qui m’interroge continuellement depuis que je voyage moi-même. En 2014, dans le cadre de mon master à l’École des Chartes, j’avais travaillé sur les guides de Paris au XVIIIe siècle ; la rencontre avec Damien Petermann, doctorant qui consacre ses recherches aux représentations des villes à travers le tourisme avait achevé de me passionner pour ce champ d’études.
Affiches promotionnelles pour Paris, années 60 ou 70
Étrangement, Toulouse n’est pas une destination touristique très prisée : pourtant, la ville rose possède un patrimoine exceptionnel, qui justifie à lui seul un séjour. Ajoutons à cela une position centrale pour rayonner dans la région, voilà une destination idéale pour tous les amateurs de vacances urbaines mais allergiques aux hordes de touristes.
NB: Avec un gros décalage, j’inaugure ici une série de billets sur une de mes destinations de l’été, Toulouse, où j’ai séjourné mi-juillet.
Le capitole, certainement le plus célèbre monument de Toulouse
La marque de fabrique de Toulouse, ce sont trois couleurs : le rose des briques dont est bâti le centre-ville, le bleu de pastel qui fit la richesse de la ville à la Renaissance, et la violette, cette fleur dont on fait des friandises délicieuses. Lire la suite →
C’était il y a un peu plus d’un mois, je traversais le Marais, ralliant la BPI depuis les Archives Nationales. Nous étions entre chien et loup, et comme j’aime le faire, j’explorais aléatoirement les combinaisons de ce chemin quotidien. Au détour de la rue des Blancs-Manteaux, la niche d’une fenêtre murée. Je ne l’avais jamais remarquée auparavant. Dans l’ouverture aveugle, un artiste des rues a niché une ville miniature et immense. Une invitation au voyage lointain et immobile.
Collage de Popeye, Rue des Francs Bourgeois, Paris 3e, février 2014
Dans un précédent article, je vous parlais de l’affichomanie, cette mode de collectionnisme née alors que l’affiche illustrée envahissait Paris. A quoi ressemblaient ces rues couvertes de papiers colorés? Les superbes images de Chéret, si convoitées aujourd’hui sur le marché de l’art, étaient elles-vraiment placardées sur les palissades, laissées aux outrages du vent et de la pluie? Les photographies d’Atget, disponibles en grand nombre sur Gallica, témoignent de la réclame à Paris autour de 1900.
Atget, Rue de l’abbaye : Saint-Germain des Prés, 1898, Gallica/BnFAtget, Rue des Deux-Ecus pendant sa démolition, 11 Septembre 1907, Gallica/BnF
L’oeil averti devine sur ces photographies quelques affiches passées à la postérité. Certaines d’entre-elles, présentes dans les collections du département des estampes, ont été numérisées et il est possible de les mettre en regard de ces vues parisiennes. L’exercice est cependant un peu difficile, du fait de la piètre résolution des numérisations d’Atget, mises en ligne en 2007. Les possibilités techniques ayant évoluées, Gallica s’est heureusement lancée dans une opération de re-numérisation de ses fonds précieux. Pour retrouver dans Gallica les documents qui ont servis aux montages qui suivent, cliquez sur les liens dans le texte!
Depuis dix jours, toute la presse parle de la Tour XIII, cette « expérience artistique » (il n’y a aucun mot juste pour qualifier ce projet) hors du commun. Pendant de longs mois, sous l’égide de la galerie Itinerrance, une centaine de graffeurs venus du monde entier ont œuvré dans un immeuble voué à la démolition. Avant la disparition définitive du bâtiment et des peintures qu’il renferme, la Tour XIII est ouverte au public pour trente jours.
Pantonio, Tour XIII, 2e étage
Tous ceux qui l’ont vu vous le diront : le buzz que ce projet suscite est complètement légitime tant cette expérience est extraordinaire, les intervenants qu’elle a mobilisé divers et les œuvres qui en résultent d’une qualité incontestable. La visite est folle, remuante, surprenante et assurément incontournable !
Samedi 6 juillet, ce sont les premières vraies grosses chaleurs estivales sur la région parisienne. Le soleil de plomb n’a pourtant pas découragé les six graffeurs venus mettre quelques couleurs sur l’immense mur gris de la rue Germaine Tailleferre. Le rendez-vous était immanquable puisqu’il s’agissait du premier événement organisé par une toute nouvelle association, Culture Pas Sages.
Da Cruz, enfant du XIXe arrondissement, colore depuis plus de dix ans les murs de son quartier en plein bouleversement social et urbain. Engagé sur ces problématiques actuelles, il a mis son travail artistique au service de la communauté multiculturelle qui habite l’est parisien. A l’occasion du lancement de l’association Cultures Pas Sages, j’ai pu longuement discuter avec cet artiste.
De grands masques colorés
Si vous vous êtes déjà baladés dans le quartier de l’Ourcq (Paris XIXe arrondissement), vous avez sûrement croisé l’une de ses œuvres : de grands masques colorés, des totems hiératiques et des figures sympathiques, un étrange mélange de diverses influences artistiques (notamment précolombiennes et africaines), le tout remarquablement réalisé sur le plan technique.
Da Cruz, quinzaine du hip-hop, Paris, berges de Seine, 5 juillet 2013
Da Cruz, une figure du XIXe arrondissement
Depuis 10 ans, à la faveur de grands plans d’urbanisme, les abords du canal de l’Ourcq se « boboïsent » à leur tour. L’ancienne usine du chauffage parisien a été démolie il y a quelques mois, et va bientôt laisser place à de nouveaux logements. Les immeubles les plus insalubres sont désormais murés, attendant dans un futur proche les pelleteuses. Au gré des chantiers, la population change, et les habitants les plus précaires sont contraints de partir, chassés par une augmentation galopante du coût de la vie. Amoureux de ce quartier multiculturel où il a grandi, Da Cruz fait le constat de ces transformations urbaines et sociales. Soucieux d’attirer l’attention sur ce nouveau « Paris qui s’en va », il a choisi son arme : la peinture.
Dernier vestiges de l’ancienne usine du chauffage parisien (juillet 2013)
Da Cruz a peint les façades des immeubles murés, les parois des îlots voués à la démolition, les murailles qui encerclaient l’usine, les contreforts du chemin de fer de la rue de l’Ourcq. En enjolivant ces murs lépreux, ces témoins du Paris désormais d’hier, il entendait leur offrir un ultime coup de projecteur avant leur disparition définitive ; retenir une dernière fois le regard du passant sur ces bâtiments si familiers qu’ils en étaient devenus invisibles. « Une thérapie par la couleur », en quelque sorte.
Quand les pelleteuses sont arrivées, les riverains ont déploré la disparition des créations de Da Cruz et de ses amis graffeurs. Car leurs œuvres étaient devenues un véritable « patrimoine » commun, un fragment de l’identité visuelle du XIXe.
Fresque au bord du Canal de l’Ourcq (disparue)
Appréciées des habitants du quartier, les œuvres de Da Cruz sont devenues un véritable patrimoine local. Il n’est pas rare d’entendre les passants commenter les dernières apparitions de ses masques. Parfois, la contemplation d’une pièce pousse deux inconnus à engager le dialogue. C’est exactement ce que l’artiste recherche : susciter des réactions, créer du lien social, faire stationner les habitants dans un espace qui est le leur. C’est aussi ce qui l’incite à peindre en plein jour, comme au début du mois de juillet lors de l’événement organisé par l’association Cultures Pas Sages. Sept graffeurs s’étaient réunis, le temps d’un après-midi, pour orner de couleurs le long mur de la rue Germaine Tailleferre. Sur le trottoir, un petit attroupement s’était formé, observant le travail en cours, discutant de la couleur des murs du quartier, des chantiers à venir, du prix de l’immobilier. Et de l’art. Ce samedi là, étaient rassemblés des promeneurs du week-end, des riverains en famille, les personnes âgées de la maison de retraite voisine, des jeunes du quartier en vacances. Autant de gens, qui, d’ordinaire, se croisent sans avoir l’opportunité d’échanger quelques mots.
Durant ces moments privilégiés, Da Cruz garde l’oreille attentive aux réactions et prend un réel plaisir à poser sa bombe pour répondre aux questions. Revient alors souvent celle de la définition du Street-Art. Da Cruz aime assurer ce qu’il appelle le « service après-vente » et en profite pour nuancer les oppositions habituellement énoncées : le tag vs le Street-Art, les créations légales vs les créations illégales.
Rue de l’Ourcq (décembre 2012)
Si les explications de Da Cruz sont si éclairantes, elles sont le reflet de son long parcours, de l’adolescent en recherche d’un moyen d’expression à l’artiste reconnu dans les sphères institutionnelles mêmes. Da Cruz, dont la technique m’impressionne tant, est un autodidacte. Son cursus n’a été validé par aucune école, sinon celle de la rue. Adolescent, baigné dans la culture hip-hop, il commence à graffer en s’emparant d’un marqueur. Le tag devient une façon d’exister en bravant les interdits. Au blaze rapidement tagué succède la recherche d’un style. Conscient qu’il faut se démarquer pour véritablement exister, il singularise son trait, tout en explorant, selon un schéma classique, de nouveaux outils : les marqueurs, puis les bombes. Plus tard, de fil en aiguille, Da Cruz en arrivera au pinceau. Sa technique s’améliore, ses motifs se diversifient. « La rue, c’est l’école en accélérée. Une expérimentation continuelle, un apprentissage mutuel. »
Da Cruz rue Tailleferre, juillet 2013
Sa pratique, illégale, est toujours de l’ordre du hobby, alors qu’il enchaine les petits boulots. « Ca devient ton oxygène, le truc qui te permet de supporter les tafs merdiques. Avant que je puisse m’avouer que c’était ma vie, et que ça devienne mon boulot, ça a pris des années. Mais ça faisait parti du chemin, ça m’a permis d’expérimenter différentes facettes de la société ».
Un goût prononcé pour le multiculturalisme
J’avais repéré les créations de Da Cruz dès mes premières virées street-art dans l’est parisien. J’appréciais beaucoup ses pièces qui me rappelaient le travail de Labrona, dont j’avais pu admirer les oeuvres à Montréal. J’ai mis un nom et un visage sur ces pièces que j’appréciais à l’occasion du « M.U.R. Oberkampf » de janvier 2013, sans avoir l’occasion d’échanger avec Da Cruz. Ses créations me plaisaient par leur beauté et leur technique aboutie mais aussi par les nombreuses références artistiques que j’y décelais. Ses masques n’étaient pas sans m’évoquer les œuvres que l’on peut observer au Musée du Quai Branly, des pièces d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Océanie. Des inspirations que Da Cruz m’a confirmées.
Da Cruz au M.U.R Oberkampf
Enfant, Da Cruz a découvert les arts précolombiens à travers le dessin animé Les merveilleuses cités d’or. Sa pratique artistique grandissante et sa curiosité l’ont poussé, plus tard, à s’intéresser aux arts dit premiers, notamment l’art africain et à la création moderne et contemporaine. Cette période de maturation a eu lieu avant l’explosion d’Internet et il a fallu aller chercher les œuvres dans les musées, dans les livres. Un job alimentaire au Grand Palais a été un tremplin pour « piocher dans ce grand inconnu ». Puis des voyages en Afrique et en Amérique du Sud lui ont permis de se confronter directement à « l’ailleurs » et à « l’autre ».
Fresque Paris Hip-Hop, 5 juillet 2013
Aux yeux de Da Cruz, le Street Art fait parti d’un grand tout, il est un maillon dans l’histoire de l’art contemporain. Parmi les sources qui marquent sa pratique artistique personnelle, il y a donc les arts dits premiers, mais aussi le Pop Art. Dans ceux-ci, comme dans la peinture de Kandinsky ou de Delaunay, Da Cruz est touché par la couleur, « le terreau commun de l’art ». Si ces sources l’ont inspiré, il les adapte au contexte contemporain et urbain et à de nouveaux outils, telle la bombe.
De la rue au musée, du musée à la rue, abolir les frontières d’un art pour tous.
Maillon de l’histoire de l’art, le street-art a-t-il sa place au musée et sur le marché de l’art ? « Peut-être bien… L’entrée au musée et en galerie est la preuve d’une reconnaissance du Street-Art, de sa vitalité, de sa force et de sa créativité ». S’il reconnait que « parfois on se fait assez chier » dans les galeries et que l’institutionnalisation n’est pas sans poser la question du sens de l’art urbain, le Street-Art et les musées ne lui semblent pas incompatibles.
Péniche du Canal de l’Ourcq, juillet 2013
Lui-même produit pour le marché de l’art, bien qu’il ne soit pas rattaché à une galerie en particulier. Dans l’atelier qu’il partage avec Marko en Seine-Saint-Denis, il crée des compositions sur toile mais conçoit également des produits dérivés (t-shirt, autocollants). Un lieu fixe qui lui permet de travailler l’hiver et d’avoir une autre approche de son vocabulaire visuel. Car il n’est pas question de copier/coller sur toile les pièces qu’il réalise dans la rue. Une telle démarche, contreproductive, affaiblirait son travail : il s’agit plutôt de décliner et de réinventer l’univers qu’il a conçu dehors sur des supports plus « conventionnels ».
Da Cruz a aussi le souci de créer des petits objets en séries très limitées pour un public qui n’aurait pas les moyens de s’offrir une œuvre sur toile, toujours dans l’optique d’être accessible à tous.
En exposant en galerie, en acceptant des partenariats avec des institutions comme récemment au Musée d’Histoire de l’Immigration, Da Cruz espère créer des passerelles et décloisonner les mondes des arts. Mais ce mouvement est à double sens ; en peignant dehors, c’est aussi le musée et l’art qu’il amène dans la rue : le Street-Art permet d’offrir localement une pratique culturelle et de s’adresser à des gens qui ne fréquentent pas ou peu les institutions muséales.
Samedi dernier, le Centre Pompidou inaugurait le nouveau cycle du studio 13/16, l’espace dédié aux adolescents. Intitulé « Ex-Situ », cette nouvelle programmation est une prometteuse initiative qui fait entrer le Street Art au musée par une porte originale et de façon intelligente.
Sept artistes pour plusieurs événements
Pour cette nouvelle saison du studio 13/16, le Centre Pompidou a su convaincre sept grands noms de la scène du Street-Art : JonOne, Vhils, Ox, RERO, Mark Jenkins, Ludo et YZ. Autant d’artistes que les ados auront la chance se rencontrer pendant leurs résidences successives au sein de l’institution.
Par cette sélection, le Centre Pompidou offre du Street Art une vision large quoique non exhaustive, qui permet de prendre conscience de l’ampleur et de la diversité de ce mouvement, tant sur le plan des médiums que des champs de réflexions ou encore de l’esthétique. RERO interroge le sens des mots, inscrivant sur de grandes surfaces des mots qu’il barre sans pour autant les rendre illisibles. Le travail de JonOne a aussi pour sujet l’écrit : multipliant son blase à l’infini, il travaille sur la calligraphie des lettres, dépassant le tag qu’il pratiquait dans les années 70 pour tendre vers l’abstraction. Les collages et lavis de YZ mettent en scène des figures féminines d’une très grande poésie, tandis que Ludo crée par infographie des figures hybrides mêlant nature et technologie. OX intervient sur les affiches publicitaires, y peignant ou y collant des formes abstraites ou géométriques, prenant toujours en compte la nature visuelle et commerciale de son support et l’environnement dans lequel il s’inscrit. Mark Jenkins crée à l’aide de mannequins illusionnistes des situations absurdes dans l’environnement quotidien afin de faire réfléchir et réagir les passants sur nos agissements. Enfin, le portugais Vhils est connu depuis quelques années pour ses portraits gravés sur l’épiderme des murs.
Ex-situ se décline en plusieurs événements. Chaque résidence d’artiste débutera par une intervention réalisée dans le Centre ou dans ses alentours immédiats. RERO, en ouverture de la programmation, a déjà inscrit sur l’escalator-chenille emblématique du bâtiment un monumental « DO NOT CROSS THE LINE ». Des ateliers « workshops », réunissant les ados et les artistes durant 35 après-midi, marqueront un temps de dialogue et de création collective. Enfin, le cycle se terminera par une journée de performances dans Paris : le 1er juin, sept kiosques de la ville de Paris seront le support de créations élaborées en concertation par sept groupes d’adolescents et les artistes invités.
Une collaboration prometteuse du musée et de l’ « art urbain »
Nombreux sont ceux qui déplorent les relations maladroites/laborieuses entre les musées et le milieu du Street Art. Les enjeux des deux protagonistes ne sont en effet pas toujours compatibles, quand ils ne sont pas tout simplement radicalement antinomiques. En outre, les institutions muséales sont souvent accusées d’offrir en exposition un Street Art dénaturé, vidé de son sens…
A mon goût, l’opération du Centre Pompidou rompt radicalement avec cette tendance, offrant du Street Art une approche novatrice en ce qu’elle est respectueuse de son esprit. Par ce cycle « Ex-Situ », c’est un véritable dialogue qui est appelé à s’instaurer entre le public et les artistes, en marge des expositions temporaires et des collections permanentes. Il n’est en effet pas question d’exposer à cette occasion les œuvres des artistes mais d’initier les ados à une réflexion sur le Street-Art. S’il y aura bien quelque chose à voir du travail de RERO, Vhils et des autres artistes au centre, l’essentiel du contenu de ce cycle, dont le but premier est la transmission, prendra forme dans les workshops où les jeunes seront invités à s’emparer des moyens d’expression des intervenants pour formuler leur propre message.
« Ex-Situ », interroger la relation au lieu : que devient le Street Art hors de la rue ?
Pour la plupart des street artistes, l’œuvre naît de leur interaction avec l’environnement spécifique dans lequel ils interviennent. Initiée par l’artiste, cette interaction est d’ailleurs appelée à se prolonger au-delà du moment de l’acte créateur : un passant viendra peut-être modifier un détail, un autre graffeur recouvrira une partie de l’œuvre, plus tard peut-être dissimulée derrière un quelconque affichage sauvage… Bref, ce sont le temps et la vie qui feront leur œuvre.
Lancement d’Ex-Situ au Centre Pompidou, Photos H. Véronèse
C’est cette relation au lieu, à l’environnement que le Centre Pompidou entend interroger. Plus précisément, par le titre donné à la manifestation « Ex-Situ », le studio 13/16 explore les formes que peut prendre le Street-Art lorsqu’il est sorti de son « milieu naturel », la rue, pour être présenté dans un espace autre – ici une institution culturelle reconnue comme « légitime ».
Dans le langage de l’Art contemporain, on emploie le terme in-situ pour désigner une œuvre créée pour et dans un environnement spécifique et qui ne peut exister et n’avoir de sens que dans ce contexte précis (les colonnes de Buren forment l’un des exemples les plus connus d’interventions in-situ). Par nature, donc, le Street Art est un mode d’expression in-situ. En entrant au Centre Pompidou, le Street Art est déplacé hors de son environnement naturel et devient donc « ex-situ ».
Il y a là, à mon sens, un niveau de réflexion que l’on ne retrouve malheureusement pas dans la plupart des expositions sur ce champ de l’art vivant. Ainsi, quelle déception a été pour moi l’absence de mise en perspective de telles questions dans la récente exposition du musée de la Poste, au titre pourtant prometteur d’ « Au-delà du Street Art » !
Lancement d’Ex-Situ au Centre Pompidou, Photos H. Véronèse
Bien déterminée à assister à quelques uns des workshops, je reviendrai volontiers sur la nature des interventions des artistes dans de prochains billets. Si vous avez-vous-même assisté à certains d’entre eux, n’hésitez pas à partager votre expérience via les commentaires, la page facebook ou le formulaire de contact : votre avis m’intéresse !
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